« Le plaisir du texte est semblable à cet instant intenable, impossible, purement romanesque, que le libertin goûte au terme d’une machination hardie, faisant couper la corde qui le pend, au moment où il jouit. »

« L’endroit le plus érotique d’un corps n’est-il pas là où le vêtement bâille ? Dans la perversion (qui est le régime du plaisir textuel) il n’y a pas de « zones érogènes » (expression au reste assez casse-pieds) ; c’est l’intermittence, comme l’a bien dit la psychanalyse, qui est érotique : celle de la peau qui scintille entre deux pièces (le pantalon et le tricot), entre deux bords (la chemise entrouverte, le gant et la manche) ; c’est ce scintillement même qui séduit, ou encore : la mise en scène d’une apparition-disparition »

« Société des Amis du Texte : ses membres n’auraient rien en commun (car il n’y a pas forcément accord sur les textes du plaisir), sinon leurs ennemis : casse-pieds de toutes sortes, qui décrètent la forclusion du texte et de son plaisir, soit par conformisme culturel, soit par rationalisme intransigeant (suspectant une « mystique » de la littérature), soit par moralisme politique, soit par critique du signifiant, soit par pragmatisme imbécile, soit par niaiserie loustic, soit par destruction du discours, perte du désir verbal. Une telle société n’aurait pas de lieu, ne pourrait se mouvoir qu’en pleine utopie ; ce serait pourtant une sorte de phalanstère, car les contradictions y seraient reconnues (et donc restreints les risques d’imposture idéologique), la différence y serait observée et le conflit frappé d’insignifiance (étant improducteur de plaisir). »

J’aurais aimé citer le bouquin en entier ! Le plaisir du texte de Roland Barthes regorge de ces fulgurances brillantes. Je le recommande très, mais alors très chaudement à toute personne qui s’intéresse à l’écrit et voit le texte réellement comme ce qu’il signifie : « tissu », un tissu avec lequel on peut (il faut) jouer avec érotisme.

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Application directe avec ma lecture de L’oeuvre de Dieu, la part du Diable, de John Irving, un très grand plaisir de lecture. Pour moi, une apogée s’est créée tout au long du chapitre 5 : ah le plaisir de ces ruptures qui s’enchaînent ! (Ces instants intenables). Merveilleux bouquin, dense, foisonnant et subtil. Cher et touchant Homer Wells…

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Puis j’ai lu un roman de Cécile Roumiguière avec qui j’ai passé de bons moments à Lire à Limoges, et j’aime lire les gens avec qui j’ai passé de bons moments ! Je parle ici de ce roman car il vaut la peine d’être lu ne serait-ce que pour en débattre ensuite, et j’admire la structure, l’attachement aux situations et le refus de toute facilité. Mais voilà un roman qui n’était pas « pour moi ». Le tissu ne bâillait pas assez à mon goût, la plupart du temps, surtout au début. Et je ne peux qu’observer combien les mécanismes du racisme, du sexisme et de la reproduction sociale décrits et mis en scène dans ce roman ne furent pas en adéquation avec le lieu où ma propre réflexion et ma propre expérience m’ont menée. Et donc dans ce roman je n’étais pas au bon endroit, à tel point que j’ai ressenti cet inconfort : « on ne s’adresse pas à moi ». « On ne parle pas pour moi ». Et le plus souvent dans un roman j’ai envie qu’on « parle pour moi » à travers des personnages qui ne sont pas moi. On parlait en outre d’un autre lieu inconnu de moi, un peu enveloppant (et personnellement je n’ai pas envie d’être enveloppée, j’ai envie qu’on me parle droit dans les yeux, à ma hauteur ; je n’ai pas envie non plus que les personnages soient « enveloppés », je ne peux alors pas les incarner). L’ensemble me blessa bizarrement, ce fut presque violent parfois, comme une impuissance ou une porte fermée (Cécile, ne t’inquiète pas, j’attends tout de la littérature, surtout d’être remuée !). Mais à la fin j’ai rejoint ce lieu (ou ce lieu m’a rejointe), et le plaisir est revenu, à peu près au moment de la scène de chasse. Mais tous ces sentiments contraires prouvent que ce roman, Les fragiles (éditions Sarbacane, collection Exprim), vaut la peine d’être lu.

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