Walker Evans est surtout connu pour son travail sur la Grande Dépression. Il a su saisir une Amérique en crise, avec délicatesse.
On connaît moins ses autoportraits, nombreux.
Ce n’est pas un cas unique, loin de là. Nombre de photographes, mais aussi de peintres ont ressenti le besoin de saisir leur image changeante (Rembrandt étant fameux aussi pour cela…
), à la manière d’un Monet avec ses meules de foin ou ses parlements de Londres ; ou comme Auggie/Harvey Keitel dans le Smoke de Paul Auster, qui prend en photo le coin de sa rue, toutes les heures.
Revenons à Mister Evans.
Qui a l’air de s’étonner à chaque fois d’avoir l’air si différent de lui-même.
Il en joue.
Il se regarde vieillir ou tout simplement changer suivant l’heure de la journée, de la nuit, ou bien suivant les événements heureux ou malheureux de sa vie.
Comme varie l’eau de la Tamise d’heure en heure.
Il y a bien sûr une recherche d’humanité là-dedans.
D’identification, de charme, de séduction, de déconstruction.
Walker Evans avait une vocation littéraire… Peut-être écrivait-il aussi bien qu’il photographiait.
Vient la question : comment les écrivains s’autoportraitisent-ils ?
Autobiographie ? Autofiction ?
Trop de transformations.
Le diarisme, peut-être…
Le diarisme, sûrement.
Le monde prodigieux que j’ai dans la tête. Mais comment me libérer et le libérer sans me déchirer. Et plutôt mille fois être déchiré que le retenir en moi ou l’enterrer. 21 juin 1913.
Je suis allé au cinéma. Pleuré. Avant, un film triste, L’accident du dock, après un comique, Enfin seul. Je suis absolument vide et insensible. Le tramway qui passe a plus de signification vivante que moi. 20 novembre 1913.
J’étais assis chez Weltsch dans un fauteuil à bascule, nous parlions du désordre de notre vie, lui malgré tout avec une certaine confiance. « Il faut vouloir l’impossible ! ». Moi, sans même avoir cela, dans le sentiment d’être le délégué de mon vide intérieur, qui est exclusif et pas même exagérément grand. 16 décembre 1913.
Violente averse. Mets-toi face à la pluie, laisse ses rayons de fer te pénétrer, glisse dans l’eau qui veut t’emporter, mais ne bouge pas, reste droit et attends le soleil qui va couler à flots, subitement et sans fin. 27 mai 1914.
Journal de Franz Kafka
(Francis Bacon, autoportrait)