« Comme je l’ai dit, il y a déjà plusieurs années : « Celui qui travaille la langue est en même temps travaillé par elle ».
Paul Valéry maintenait que la parole plane et courante vole à sa signification, et que la parole littéraire a pour fin la volupté. Voilà une déclaration qui soulèvera peut-être l’indignation de certains pour qui tout écrit doit avant tout être utile, éclairant, porteur d’une morale ; mais enfin, assigne-t-on ce genre de fonction à la peinture, à la musique ? Et quant à ceux qui demandent à la littérature, au roman de leur délivrer un enseignement pratique, de leur montrer, par exemple, les chemins de l’Espoir ou de la Liberté, les rayons des librairies et des bibliothèques regorgent de ce genre d’édifiants ouvrages. Alors, est-il permis de revendiquer pour quelques marginaux un peu de cette liberté ? »
« Paradoxalement (et l’Histoire est là pour nous l’enseigner) lorsque l’art ou la science entreprennent de tenir compte des considérations sociales, des idéologies ou d’une quelconque morale, ils se trouvent, de ce fait même, privés de toute valeur, de tout pouvoir réel sur les événements. Et il n’est pas besoin d’aller chercher des exemples aussi lointains que Galilée : « Nommez-moi une science qui n’ait été révolte » écrit Michelet dans La sorcière. Quant à la littérature ou l’art, il n’est que de rappeler Sade, Flaubert, Baudelaire, Cézanne ou Van Gogh, persécutés ou objets de moqueries pour atteintes aux croyances, aux bonnes moeurs ou aux valeurs consacrées (…)
N’étant ni philosophe ni sociologue, je ne saurais dire exactement ce qu’est le progrès. Par contre, comme chacun, je peux constater que le monde est en perpétuelle mutation, en perpétuel devenir, et qu’à condition de n’être occupées que d’elles-mêmes, (…) la littérature comme la science s’inscrivent alors dans ce mouvement général, tandis que si l’on veut les forcer elles se vengent et, à celui qui les a ainsi maltraitées, elles font dire des absurdités ».
Claude Simon dans Quatre conférences