Il m’arrive quelque chose de très étrange ces temps-ci (comme il m’en arrive souvent avec l’écriture). Pour les besoins de mon roman en cours, j’ai ressorti mes journaux intimes d’étudiante dont je vais m’inspirer – vous voyez, rien ne se perd, tout se transforme. Je ne les avais, je crois, jamais relus, contrairement à mes journaux d’enfant/ado. Tant de choses sont passées dans l’amnésie du temps. C’est donc avec ces journaux sur mon bureau que je reçois, avant-hier, un message sur Instagram.

Je mets une bonne minute à me souvenir qui est derrière ce nom. C’est une personne que j’ai perdue de vue il y a 30 ans de cela, et totalement perdue de mémoire. Il m’écrit car il a retrouvé une lettre de moi, une lettre datant d’avril 1996, quand il était jeune homme, et moi jeune femme (22 ans)… Je n’ai pu me souvenir distinctement de lui qu’en relisant ces journaux disponibles, là, sur mon bureau (aurais-je fait l’effort, sinon, de les dénicher, de chercher si j’y parlais de lui ?). Tout y est : l’envoi de la lettre, pourquoi je l’avais envoyée, comment on s’est vus peu après. Une courte connexion sans lendemain. Totalement tombée dans les limbes de la mémoire… et sauvée des eaux du temps par ce journal.
On oublie tant, même les moments de partage qui ont eu du sens. On oublie même qui on fut. Tenez, par exemple, cet extrait de mon journal, sur Matzneff, je l’avais aussi oublié. Je vous le partage, c’était une lettre du 17 octobre 1995, je vais alors sur mes 22 ans.

Je pense peu probable que Vanessa Springora tombe un jour sur ce post, mais cela la rassérénerait peut-être d’apprendre que les jeunes femmes pensaient à elle en lisant ce “roman”. Des jeunes femmes, comme c’était mon cas, qui refusaient absolument qu’on les appelle “féministes”, et qui l’étaient pourtant sans le savoir. Je n’avais retenu que mon anti-féminisme, j’avais fini par oublier que je l’étais tout de même, et je suis subitement un peu plus fière que je ne l’étais jusqu’alors de cette jeune femme que j’étais.
Autre réflexion importante : tous ces vestiges sont en papier. A cette époque lointaine, on s’écrivait des lettres, que l’on retrouve 30 ans plus tard et qui permettent de jolis re-contacts. On écrivait des journaux dans des carnets, dont l’encre commence à peine à s’effacer, mais qui est encore bien là. Des carnets sauvés des divers déménagements, mais qui n’ont jamais craint ni bugs ni virus, ni vols ni perte d’ordinateur, et qui n’ont jamais souffert que j’oublie de les sauvegarder sur un autre support. Ca fait ringard, n’est-ce pas, cette réflexion, et pourtant, ces cadeaux à soi-même sur sa propre ligne du temps sont si précieux…