Vous aimez mes anecdotes un peu étranges, en tout cas surprenantes, en lien avec mon écriture ? En voici une autre : alors que j’étais en plein dans l’écriture du tome 2 du Grand Saut, avant la parution du tome 1, l’histoire de six jeunes gens qui se déroule dans ma ville, à La Ciotat, ville que j’ai choisie pour sa très grande mixité socio-culturelle, lieu de tension dans des décors superbes, ma meilleure amie me présenta l’une de ses amies à elle qui cherchait un logement pour quelques temps à La Ciotat, le temps du tournage d’un film pour lequel elle était la scripte. Ma maison étant en travaux je n’ai hélas pas pu l’héberger, mais je lui trouvais un autre lieu (merci Laure E. !), et venais de me faire une nouvelle amie (qui d’ailleurs connaissait d’autres de mes amis, enfin ce genre de coincidences qui n’en sont pas, car d’affinités en affinités…). J’étais très surprise qu’un cinéaste s’intéresse à La Ciotat, jusque-là peu représentée. Je le fus encore plus quand j’en appris l’histoire : une écrivaine organise un atelier d’écriture auprès de jeunes ciotadens aux origines et milieux divers… J’en eus un peu le vertige, mais juste un instant, l’un de ces instants sans humilité où l’on se considère comme le centre de l’univers. Ecrivaine, jeunes ciotadens comme dans mon Grand Saut, les liens avec moi étaient tout de même forts. Quand je sus le nom du réalisateur, je fus de plus en plus intriguée : Laurent Cantet, dont j’ai tant aimé Entre les murs, mais aussi l’admirable Ressources humaines.
Voyant mon intérêt, ma nouvelle amie réussit à me faire accepter sur le tournage du film, sur les hauteurs de La Ciotat. Ce fut un moment merveilleux ! Elle me présenta à Laurent Cantet et à Marina Foïs, l’actrice principale, mais si occupés et concentrés qu’ils retournèrent aussitôt à leur travail. J’aurais aimé avoir l’occasion de mieux discuter avec Laurent Cantet mais tout le monde était si absorbé par ce qui se passait que c’était impossible. J’assistai à une scène de l’atelier d’écriture, avec les jeunes comédiens dont la spontanéité me frappa, même lorsqu’il fallait répéter et répéter encore. C’était la première fois que j’assistais à un tournage de film, et que ce soit celui-là, et sous l’égide ultra-bienveillante de cette super scripte, je me trouvai bien chanceuse.
Et aujourd’hui je suis les (excellentes) critiques de ce film, intitulé L’atelier, présenté à Cannes pour Un certain Regard, avec un très grand intérêt. Cet article de Libération me réjouit particulièrement. Hâte que ce film soit projeté… à La Ciotat ! Il a l’air vraiment très, très bien.
Les dernières lignes de l’article me plaisent particulièrement, car elles reflètent parfaitement ce que l’on ne peut qu’observer quand on vit dans une telle ville, et je crois que pour un écrivain c’est une chance (vivre sans oeillère). Et c’est précisément pour cette raison que j’ai choisi ce lieu pour Le Grand Saut. J’ai choisi pour ma part de traiter, sous des apparences légères, surtout les différences de niveau socio-culturelles (et je suis bien marrie quand certains critiques ont, eux, de telles oeillères qu’ils ne voient pas cette intention), mais Laurent Cantet a eu en plus ce courage qu’un jour j’aurai : traiter plus frontalement la question de l’extrème-droitisation d’une certaine jeunesse :
« A la question des accointances identitaires, objet de fascination pour l’intello parisien mais réalité bien vivace à La Ciotat (Marine Le Pen y a fait 44 %), les réponses avancées par le film se dégagent résolument du traité sociologique. A la place, il propose de regarder au plus près une jeunesse que personne ne semble plus capable d’envisager avec la distance nécessaire. La jeunesse emmerde le Front national ? Allons donc. La jeunesse s’emmerde et vote Front national. »