Formidable récit/essai. Un grand livre de sociologie.
Je suis toujours très frappée de constater à quel point les mécanismes de domination sociale sont mal compris voire niés par des gens pourtant de bonne volonté. Il en est ainsi pour tous les mécanismes de domination, certes. Ne pas avoir subi/ne pas subir une domination semble en rendre la compréhension immensément difficile, mais je ne peux pas m’empêcher d’y voir, de plus en plus, une mauvaise volonté et une hypocrisie immenses. Certaines postures (souvent opportunistes, parce que c’est bien vu dans un certain milieu de penser comme ceci ou comme cela) m’insupportent pour cette raison, car elles s’arrêtent à la posture, et empêchent toute discussion/réflexion, annihilant encore plus, par conséquent, toute tentative de changer les choses. Lorsqu’on essaie de discuter plus avant, on rencontre le plus souvent une volonté inconsciente de n’y pas réfléchir, ou bien de n’y réfléchir qu’entre-soi, hors sol, avec satisfaction, bonne conscience et haute déconnexion. Ce sont les corps qui parlent le plus clairement : un recul du buste, un petit sourire condescendant, un raidissement, un menton levé, un regard qui se voile…
Or ce bouquin ose aborder comme rarement le sujet de façon frontale et va au bout des choses. Il explique de façon lumineuse ce que signifie vraiment venir d’un milieu ouvrier, les freins rencontrés, les luttes menées, les dissimulations et les hontes. On y trouve des réponses à de nombreuses questions, ou des explications rationnelles à ce qui paraissait ne pas l’être. Didier Eribon fait appel à ses connaissances littéraires (il est rare que je trouve cité ce récit qui m’a tant frappée, « Elise ou la vraie vie » de Claire Etcherelli, et il l’est ici plusieurs fois), sociologiques, philosophiques et politiques pour creuser une enquête sur soi, sur ses origines, et sur la honte du transfuge social. Passionnant. Eclairant. Nécessaire.
(Grand merci à Véronique H pour le conseil !)
