J’ai été happée par ce récit efficace qui s’affiche comme féministe, et où l’on n’a de cesse de savoir ce qui va arriver à l’héroïne. L’influence de La servante écarlate est évidente, avec des trouvailles très pertinentes, comme la « magie » que détiendraient les jeunes filles et cette tendance à les faire passer pour des sorcières, qui m’a rappelé ce que Mona Chollet rappelle elle-même dans Sorcières. Un vrai page turner que cette « année de Grâce » mais ce mélange de La servante écarlate et de Hunger Games m’a parfois laissée perplexe. La force de ces deux récits résidait dans la cohérence et la crédibilité de leur univers. Atwood a souvent répété qu’elle n’avait rien inventé, par exemple : toutes les situations de sa Servante écarlate, elle les a observées ici ou là au cours de l’histoire. C’est parce que c’est hélas crédible que c’est glaçant. Et une dystopie a, à mon avis, ce devoir d’être crédible, sinon c’est de la violence gratuite qui ne fait pas réfléchir et ne dénonce rien. Or, dans L’année de Grâce, j’ai eu beaucoup de mal à croire au choix d’une société d’envoyer à la mort les filles les plus jeunes et les plus fertiles et au mieux d’abîmer la beauté de toutes. Dans toutes les sociétés patriarcales, s’il y a bien des choses qui sont protégées et encouragées, c’est la jeunesse, la beauté et la fertilité. Je n’ai absolument pas compris non plus la raison d’être des braconniers, et le cannibalisme qui s’ensuit n’est jamais expliqué. Et enfin ce qui m’a encore plus dérangée c’est que le coeur du récit repose sur une rivalité féminine meurtrière dont il aurait été intéressant de démonter les ressorts, or le seul vrai méchant identifié de l’histoire, qui a un nom et une personnalité, et dont on se souviendra, c’est une jeune fille de 16 ans représentée comme cruelle, jalouse, envieuse et assoiffée de pouvoir quoiqu’empoisonnée, quand les sales types qui dépècent les gamines en les torturant pendant des heures représentent un groupe informe. Quand l’un de ces braconniers se détache et porte un nom et un visage, c’est pour le dédouaner illico : ils font ça pour sauver leurs familles, ces pauvres choux si courageux au fond. Et tiens, l’un d’eux est super séduisant 😑.
Je suis un peu dure dans ma critique peut-être (?) mais ce n’est pas la première fois que dans un roman pour la jeunesse vendu comme féministe je constate un désir louable de dénoncer des choses, mais pour le faire entrer de force dans un genre (ici la dystopie d’aventure) qui, hélas, produit l’effet inverse. C’est dommage dans ce roman aux fulgurances antisexistes réjouissantes, qui est passé à côté de son propos en voulant aussi s’inspirer de Sa majesté des mouches, tout en oubliant que des jeunes filles de 16 ans pauvres et opprimées, quoiqu’on pense de désespérant sur l’humanité, n’auraient sans doute pas les mêmes réflexes que des gamins issus de la haute société et habitués à être choyés.