La dernière fois que j’ai ressenti cela, c’était lors de ma lecture de *Triste Tigre* de Neige Sinno. L’impression d’être face à un OVNI hyper maîtrisé. Adèle Yon, comme Neige Sinno, mêle histoire personnelle et références pointues, mais se distingue par un apport de recherches faites par elle-même, et par des pages d’une beauté littéraire peu commune (l’épisode sur son activité de boucherie, ou celui sur la poterie, ou encore la description des hésitations à se confier des membres de sa famille, par exemple, m’ont éblouie).

J’ai beaucoup pensé à ce podcast édifiant qu’elle cite d’ailleurs en note de bas de page, *Les fantômes de l’hystérie* de l’émission LSD – La série documentaire. On est complètement dans le thème, à la recherche des contours de cette aïeule dont la souffrance abyssale est mise à jour, et court comme un long cri de colère et de douleur sur le reste de la lignée. Il s’agit donc non seulement d’une oeuvre essentielle sur le « raffinement et la sophistication dans l’inculcation des dominations » (je reprends les mots d’une autre lecture récente qui est pour moi en lien direct avec celle-ci, *le berceau des dominations* de Dorothée Dussy), auxquels s’ajoute l’idée de nécessité de les dévoiler pour l’ensemble de la famille, présente et à venir – pour l’ensemble de la société devrais-je dire, puisque si elle est malade c’est bien à cause de ce type de drames tus, excusés, glissés sous le tapis, qui touchent un nombre incommensurable de familles. Car ce genre de traumatisme peut générer chez les descendants suicide ou colères phénoménales, s’il n’est pas apaisé par la vérité et la dénonciation du scandale.
Adèle Yon fait le travail, pour elle-même et pour toute sa famille, avec un courage et une ténacité admirables, et dévoile les conséquences de la cruelle oblitération de Betsy par touches, avec l’air de ne pas y toucher, et pourtant (et conséquemment, plutôt) avec une puissance salvatrice. Bref, il me semble : une oeuvre majeure, que je vous conseille de lire bien entendu.