Il est facile de parler des romans qu’on a adorés, enfant (jusqu’à 11-12 ans, dirais-je). Ils occupent une place particulière dans nos coeurs. J’ai souvent pu en parler dans mes posts : Paddington, la série entière des Arsène Lupin, le journal d’Anne Frank, les 4 filles du Dr March, Le passe-muraille, les chroniques de Narnia, et bien d’autres encore.

Mais il est plus difficile d’évoquer ceux qu’on a détestés. Pourtant cette détestation est tout aussi vive dans nos mémoires.

Il y en a 3 dont je me souviens particulièrement. Je les ai détestés avec une immense vivacité, tout est si fort quand on est petite, et je ne peux m’empêcher de les détester encore aujourd’hui. Mais le plus curieux, c’est que je suis bien en peine d’expliquer pourquoi ils m’ont tant déplu. Je ne peux que faire des suppositions. Les voici en images, avec les couvertures d’origine, c’est-à-dire dans la version où je les ai lus. Peut-être ces couvertures ont-elles joué.
Pour que ce post soit plus clair, sachez que je suis née à la fin de 1973, ça a son importance.

Par ordre de détestation croissante :

Bulle ou la voix de l’océan. Je sais, je sais, comme chacun de ces romans détestés, on va me rétorquer que c’est un chef d’oeuvre. Mais on a bien le droit de détester des chefs d’oeuvre, après tout. Ce roman-ci m’a été imposé par l’école, ce qui n’a sans doute pas aidé. En 6e peut-être ? En CM2 ? Je ne me souviens plus. Mais comme j’ai haï ce coquillage ! Alors que j’ai toujours adoré les coquillages. Alors quoi ? Peut-être n’ai-je pas aimé que ses mots ne soient pas ceux que moi j’aurais imaginé. Peut-être n’ai-je pas aimé qu’il parle comme un humain (comme un homme, plus précisément). Que sa poésie soit si éloignée de celle que j’imaginais pour la mer. Mystère. Mais pour moi qui la connaissais bien, la mer, avec ses plages, ses coraux, c’était tout autre chose, beaucoup plus vif, joyeux et tourmenté que cette histoire que j’avais jugée aussi plate qu’une flaque d’eau.

Pour mon malheur, le seul roman de Roald Dahl qui me soit parvenu entre les mains, enfant, ça a été celui-ci, James ou la grosse pêche. Je crois qu’il était dans une liste de livres à lire pour le collège, ou alors était-ce ma grande soeur qui devait le lire, en tout cas il a longtemps traîné dans notre chambre commune, sous mes yeux hypersceptiques. Un roman qui trainait, je me devais de le lire, mais celui-ci m’inspirait des sentiments très contradictoires. Pourquoi et comment n’ai-je pas découvert plus tôt d’autres romans de Dahl ? J’écumais pourtant la bibli à côté de chez moi. J’ai adoré, plus tard, une fois adulte seulement, tous les romans de Roald Dahl, au point qu’aujourd’hui je l’aime d’amour, mais celui-ci reste l’exception. Il m’attirait, me repoussait, semblait ne pas s’adresser à moi tout en me narguant. Je ressentais un sentiment de traitrise. A vrai dire la couverture était un peu étrange, avec toutes ces bestioles dans cette pêche peu ragoutante, et ces deux femmes peu amènes au premier plan. Les couvertures d’alors pour enfants étaient souvent assez sombres, aux ombres prononcées. Il n’est pas totalement vrai que c’est un roman détesté car je ne l’ai jamais lu en entier. C’est plutôt l’objet-livre qui m’a paru détestable.Jamais réussi à entrer dans l’histoire, que je n’arrivais à voir que sombre elle aussi, très sombre. J’ai été surprise d’apprendre, plus tard, qu’elle était très drôle en réalité.

Vendredi ou la vie sauvage. Offert par une copine pour mon anniversaire. Avec délicatesse, ignorant mes goûts, elle avait joint le ticket de caisse pour que je puisse l’échanger. J’ai tout de suite voulu le faire, parce que cette fois encore la couverture ne me disait rien du tout. Horreur malheur, encore un coquillage !! Qu’est-ce qui aurait pu rattraper le truc ? Un mec à barbe sans âge, bof. J’étais une lectrice assez expérimentée pour passer outre une couverture peu attirante, mais l’histoire, aïe. Comment avait-il été possible de transformer le récit d’aventures passionnant de Robinson en un texte aussi mollasson ? Dès les premières pages tournées il m’est tombé des mains. Pour mon malheur bis, pour une raison qui m’échappait totalement, ma mère a refusé catégoriquement de m’accompagner en librairie pour retourner le livre. Peut-être parce que pour elle, un cadeau ça ne s’échangeait pas. J’insistai, sûre de moi. Trop. Ce fut l’occasion d’une rouste mémorable. Et une occasion de plus de fustiger ce qu’on appelait « mes caprices ». De quoi faire de ce bouquin le livre le plus haï de tous mes temps.  

On notera que ces 3 romans ne comportent pas de personnage principal féminin. Je n’y faisais pas du tout attention à l’époque, ce n’était pas un sujet. Très honnêtement j’ignore si c’est pour cela qu’elles m’ont repoussée, mais tout de même, c’était beaucoup demander aux petites filles que de s’intéresser à de telles histoires. Même le coquillage Bulle, qui aurait pu être genré au féminin, l’était au masculin (le prénom Bulle était pourtant de bon augure et m’avait je crois donné de l’espoir). Et le seul personnage féminin de l’histoire n’a comme destin que le mariage, youpi, et on ignore tout de ses rêves. Dans James et la grosse pêche, les deux seuls personnages féminins sont des tantes affreuses et détestables. Je les ai effectivement fort détestées, mais ai détesté l’histoire dans le même mouvement, que je n’ai jamais menée à bout. Quant à Vendredi ou la vie sauvage, que dire… Deux mecs adultes et un chien qui essaient de s’apprivoiser sur une île déserte… Puis quand Vendredi s’émancipe et quitte l’île, au contraire de Robinson, il est miraculeusement remplacé par Dimanche, un petit garçon maltraité, qui va tenir compagnie à Robinson. Pourtant le texte de Defoe (et la véritable histoire) est tout autre : après un récit de survie plein d’aventures palpitantes, Robinson rejoint la civilisation à la fin, et voyage de par le monde avec Vendredi. Qu’est-ce qui a pris à Tournier d’imaginer cette fin de solitaire, complètement isolé avec un petit garçon ? (weird).

A l’époque où on se souciait fort de n’offrir aux petits garçons que des romans où ils pouvaient s’identifier (trouvez-moi un petit garçon de mon âge à qui on aurait offert les 4 filles du Dr March…), on n’avait pas la même attention envers les filles. Au contraire, elles étaient censées apprendre à s’identifier au masculin considéré comme la norme. On voit que cet apprentissage ne s’est pas toujours fait sans douleur… Pourtant, des récits avec des héros masculins, même adultes, j’en ai adorés, enfant : L’île au trésor, Arsène Lupin, Les trois mousquetaires… Mais bon sang, qu’au moins ces héros soient séduisants ! Drôles et aventureux ! Ingénieux et tourmentés ! Et amoureux, why not, c’est la cerise sur le gâteau. Même amoureux d’un autre homme (majeur si le héros l’est), que ce soit dit et bien dit, c’est si excitant (à mon époque ce n’était jamais dit mais souvent larvé, si bien qu’en tant que fille on se sentait deux fois écartée, par l’absence de filles, et par le non-dit qui nous échappait). Si vous vouliez vraiment faire lire aux petites filles des histoires de crustacés ou de survie au masculin pluriel, au moins aurait-il fallu que ce soit avec panache, rythme, verve et passion.

Mais de l’intérêt des petites filles, on se fichait, bien évidemment. Il était beaucoup plus urgent de valoriser les garçons – même de manière ennuyeuse, la poésie et la philosophie se devant de l’être en cette ère, hélas. Par bonheur, les choses ont changé aujourd’hui en littérature jeunesse. Mais les classiques, eux, restent, et sont considérés comme une espèce de patrimoine indéboulonnable. J’y ferais bien un peu de ménage, si ça ne tenait qu’à moi ! Heureusement, chaque jour ce patrimoine s’enrichit d’oeuvres nouvelles, et de bien meilleure qualité, me semble-t-il. Ouf….

Qu'en pensez-vous ?

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Il n'y a pas encore de commentaire.