
Commencer par dire que hier, lors d’une rencontre en Alsace avec des 3e qui avaient lu le 2e tome de *Renversante*, j’ai une nouvelle fois dû faire face à de la juvénile hostilité. Le propos du livre leur avait tant déplu que la classe entière avait décidé de rester muette.
Pour être plus précise… une poignée de garçons de la classe en avaient décidé ainsi, et les autres filles et garçons ont obtempéré. Rassurez-vous, la glace s’est brisée quand ils et elles ont compris que je ne correspondais pas à l’image excessive qu’ils s’étaient faite de moi.
Mais ce nouvel incident a une fois de plus mis au jour quelque chose que j’observe souvent : la force de domination de quelques-uns, capables d’imposer à un groupe entier une posture masculiniste.
Ce n’était pas le cas cette fois puisqu’il y a eu assez rapidement désobéissance au complot du silence, mais dans beaucoup de classes c’est un climat que je n’hésite pas à qualifier de terreur qui se joue. Une terreur qui écrase, silencie, et impose un seul point de vue. Une terreur que les profs peinent à déceler. Ils et elles tombent souvent des nues quand, face à moi et à *Renversante*, elle se dévoile crûment. Comment est-il possible qu’elle soit si invisible le restant du temps ? Parce qu’elle se fond dans un consensus. Les profs ne peuvent pas lutter contre les représentations courantes : comment empêcher la plupart des garçons de rouler des mécaniques, occuper toute la place, tenir des propos très limite, pendant que la plupart des filles se font toutes petites… puisque c’est ce qu’on voit tout le temps ? Ils et elles sont impuissantes face aux normes, et de plus on leur apprend comme à nous toutes et tous à ne pas désirer voir qu’une telle dichotomie génère FORCÉMENT de la violence, parce qu’elle est née de la violence.
Mazan, Bétarrham et Le Scouarnec nous montrent une même chose, sidérante : les auteurs de violences culpabilisent peu au moment de leurs actes… parce qu’ils se sentent autorisés à les commettre. La société entière les y autorise. Leurs seules réticences se logent dans la peur d’être « pris ». Le restant du temps femmes, enfants, et personnes physiquement ou symboliquement plus faibles en général, ne sont que des objets dont on peut faire ce que l’on veut. Notre société valide, par un continuum d’actes et de paroles, la dépersonnalisation de cette grande quantité d’êtres humains. Quand je dis « on », je parle aussi des jeunes adolescents plus âgés que leurs victimes, et des femmes. Dorothée Dussy puis Cécile Cee et Manon Garcia le disent : probablement plus de femmes qu’on ne croit abusent d’enfants… parce qu’ils et elles leur sont soumis (on commence à parler d’infantisme pour désigner le continuum de violences faites aux enfants).
Le souci, c’est globalement toutes les situations de domination, dont la masculinité ET la parentalité/adultité. Si 98% des auteurs de viols déclarés sont des hommes c’est PARCE QUE notre société patriarcale place la masculinité tout en haut de l’échelle de domination. Des hommes violent des femmes, des hommes violent d’autres hommes, des hommes, quelques femmes et des mineurs plus âgés violent des enfants.
Lorsque je suis face à une classe comme celle d’hier, je vois donc de 3 à 6 jeunes victimes d’inceste dans leur enfance (désormais d’ailleurs je ne peux plus m’empêcher de regarder le meneur masculiniste de la classe comme un ancien petit garçon probablement violenté). Je vois la moitié féminine d’entre eux comme des victimes en puissance ou victimes au présent dans leurs relations amoureuses. Mais je vois aussi de futurs parents, garçons et filles, potentiellement bourreaux d’enfants.
Bien sûr, c’est un cercle vicieux qui s’auto-alimente. C’est pourquoi lutter contre les VSS doit être un projet de société.
La masculinité et la parentalité/adultité, surtout, sont actuellement des blanc-seings de domination, terreaux de violences diverses. Le féminin, la non-blanchitude, le handicap, l’enfance et la jeunesse en général doivent cesser d’être méprisés par notre société entière PARCE QUE cela désigne toutes les personnes qui les portent comme des proies autorisées.
Pourquoi est-ce que je trouve important d’en parler le jour de la lutte pour les droits des femmes ? Parce que cette lutte ne fonctionnera jamais si l’on ne prend pas le mal à la racine, c’est-à-dire en commençant par la protection de l’enfance.
Un petit garçon violenté a plus de risques de devenir un homme violent. Une petite fille violentée a plus de risques de rechercher la compagnie d’un homme violent. Il n’y a qu’en brisant le cercle des violences dès l’enfance, et surtout en comprenant POURQUOI elles ont lieu, que l’on approchera enfin d’une égalité réelle entre hommes et femmes.
Seule une réflexion globale sur les mécanismes de domination dans notre société pourra nous rendre tous et toutes plus sereines, plus heureuses, plus libres, avec un égal accès à nos droits.





