C’est si choquant tout cela. On a tous et toutes besoin d’en parler, d’y réfléchir. Rationaliser les choses m’apaise. Il en a découlé cette humble réflexion sur la notion juridique du viol.

Faille juridique dans la définition du viol – quid de la notion de joie et d’enthousiasme ?

Grand émoi il y a quelques jours lorsque l’avocat chargé de la défense des accusés des viols de Mazan expose ses arguments. Nausée collective lorsqu’il pose qu’en droit français, si la notion de violence, contrainte, menace ou surprise n’est pas prouvée, un viol ne peut être ainsi qualifié que si l’on prouve que l’accusé en a eu l’intention.

Definition du viol commis sur une personne majeure : « Il y a viol lorsqu’un acte de pénétration sexuelle ou un acte bucco-génital est commis sur une personne, avec violence, contrainte, menace ou surprise. »

Or dans cette affaire précise, même si les accusés en question ont été recrutés sur un groupe facebook intitulé « A son insu », même si l’ex-mari leur spécifiait bien de se réchauffer les mains sur le radiateur pour ne pas réveiller sa femme, et de ne pas porter de parfum pour qu’elle ne décèle pas d’odeur suspecte à son réveil, eh bien il n’y a eu ni violence, ni menace, ni contrainte, ni surprise (si ce n’est des années ou des jours plus tard, le jour où Gisèle Pélicot en fut informée par la police). 

Si l’on s’en tient strictement au droit français, un « bon » avocat n’a pu que conseiller à ses clients accusés de prétendre qu’ils ne savaient pas qu’ils commettaient un viol, pour élaborer une défense parfaite.

Gisèle Pélicot avait-elle été informée de cette faille juridique lorsqu’elle refusa le huis-clos ? Peut-être. Peut-être est-ce aussi pour cela qu’elle l’a refusé. Cette femme, ou bien l’un de ses avocats, a peut-être vu que là se trouvait une opportunité parfaite pour, enfin, faire évoluer le droit.

Car pour l’instant, tel qu’il est rédigé, il ne fait que protéger les violeurs, surtout dans un monde d’hallucination collective où il est considéré qu’un homme peut disposer de sa femme comme il veut. « Le mari était d’accord donc j’ai eu le droit de… donc je n’avais pas conscience que… donc moi je suis innocent ». 

On le martèle : les monstres n’existent pas. Les violeurs sont des hommes ordinaires, et peuvent même être quelque célèbre abbé. Il faut continuer à le marteler, parce que c’est vrai, et parce que c’est d’abord le système qui est en cause, mais de là à en excuser les individus qui le maintiennent en place par leurs agissements soit-disant pas explicitement criminels dans un tel système… C’est pousser un peu loin le cynisme patriarcal, si vous me permettez, monsieur l’avocat.

La notion de consentement à introduire dans la loi concernant le viol commis sur personne majeure est demandée par bien des féministes, alors qu’elle est refusée par bien d’autres. Sans un consentement explicite de la personne, ce serait un viol. Cela clarifierait une grande majorité des cas de viols : cas de soumission chimique, ou d’ivresse, ou de sidération, ou de position sociale ou hiérarchique inférieure qui rend muette et paralysée (j’utilise le féminin car il s’agit d’une écrasante proportion de femmes, mais je pense aussi aux hommes agressés – le plus souvent par d’autres hommes).

Mais voici ce qu’écrit la philosophe Manon Garcia :  « Si l’on définit légalement le viol par le non-consentement, on considère que c’est le comportement de la victime qui fait le viol et non celui du violeur. On expose donc la victime à être scrutée – comment pourrait-elle prétendre n’avoir pas été consentante avec une jupe aussi courte ? – et donc malmenée par le processus judiciaire, au lieu de se concentrer sur le comportement du mis en cause. »

Le souci de cette notion, c’est que la responsabilité de prouver son non-consentement en incomberait encore et toujours à la victime, face à des violeurs toujours très prompts à prétendre que, si si, je vous assure, cette femme avait tout l’air d’être consentante, enfin évidemment sinon je ne serais pas allé aussi loin, pour qui me prenez-vous, elle ment c’est évident. Si la parole des femmes était entendue et crue autant que celle des hommes, cela fonctionnerait peut-être. Or hélas on en est loin. Au final on se fierait toujours le plus souvent à cette fameuse intention de l’accusé. 

Si on a ce sentiment de se trouver dans une impasse juridique, qu’il y ait à prouver le consentement ou le non-consentement, c’est parce que l’inconscient collectif est saturé par cette idée que les femmes mentent. Ou peuvent mentir. On décortique les cas limites et rarissimes où une femme peut accuser un homme à tort afin de le faire tomber, par vengeance ou dépit ou allez savoir, elles sont si retorses. On surexpose les cas d’hommes victimes soit-disant de meutes de féministes enragées sur les réseaux sociaux. On déplore une vision contractuelle des relations humaines. On agite une vision apocalyptique d’un monde où la parole des femmes serait mieux écoutée que celle des hommes. Horreur, malheur !

Et si l’on cherchait une troisième voie juridique ?

N’y sommes-nous pas contraints, en l’état déplorable de la société française actuelle à l’égard des femmes ?

Mais quelle voie ?

La voie de la sensualité partagée, non ?

Cette voie peut-elle être traduite juridiquement ? Car elle est intéressante, me semble-t-il. C’est ce qu’a compris peu ou prou, avant la loi française, oh surprise, Pornhub, qui a commencé à interdire les contenus « femme endormie ». Si l’utilisateur recherche ces termes, un message d’alerte apparaît pour signifier que c’est illégal.

Car ce qui devrait être questionné davantage juridiquement dans cette affaire de Mazan, c’est pourquoi autant d’hommes ont pu avoir envie de jouir avec un corps inerte. Ce qui interroge le monde entier, enfin cette partie du monde qui a des désirs sains d’égalité sensuelle, mais que la justice ne questionne pas, c’est la jouissance de dominer totalement un corps soumis de quelque manière que ce soit. Un corps de femme. C’est si pervers. Si déviant. Si lâche. 

Le plus surprenant au fond, c’est que la justice peine à définir une relation sexuelle égalitaire, joyeuse et enthousiaste. Est-ce si compliqué pour la justice de concevoir que l’acte sexuel est nécessairement un acte positif et joyeux pour chacun des partenaires ? Quels que soient les jeux possibles et imaginables, même dans les relations sado-masochistes, c’est pourtant ce qui caractérise toutes les relations consenties…

Chère justice, je te le demande : vas-tu continuer à te satisfaire d’une vision aussi triste des relations sexuelles ? Et ne pourrais-tu pas davantage réfléchir, tout simplement, à la notion d’enthousiasme et de joie dans toute relation sexuelle consentie ?

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