Une dame d’une asso du nord de la France m’appelle. Elle est très gentille.

« – Bonjour, nous sommes un comité de lecteurs adultes qui avons adoré votre roman ≠bleue, et qui souhaitons le sélectionner pour le prix Biiiiip.

– Oh merci, je suis flattée.

– Alors bon les ados travaillent beaucoup sur tous les livres sélectionnés, durant de longs mois, et ça fait deux ou trois ans qu’ils n’ont malheureusement pas eu la chance de rencontrer l’auteur qu’ils ont choisi alors ils sont déçus, vous comprenez.

– Oui, oui, je comprends.

– Aussi on demande aux auteurs de la sélection de nous réserver la date du 30 janvier. Alors ce n’est pas sûr que vous viendrez, évidemment, on n’invite que l’auteur primé. Mais on ne peut garder dans la sélection que les auteurs qui nous assurent qu’ils viendront si leur roman gagne.

– D’accord… Excusez-moi de vous demander ça, mais est-ce que le prix est doté ?

– Non… le gagnant reçoit une statuette.

Gêne palpable (je passe en revue dans ma tête toutes les statuettes en papier mâché ou en argile, parfois même confectionnées par des enfants que j’ai reçues en « prix » jusque-là…)

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Oh, le joli collier de nouilles !

– D’accord… Alors je suppose qu’il y a au moins une demi-journée de rencontres payée au tarif charte ?

– Ah, alors ça on ne peut rien vous assurer. Vous comprenez, les collèges ont de moins en moins de budget, alors…

– Vous savez, les auteurs aussi ont de moins en moins de budget…

– Je sais bien, je sais bien, je comprends que c’est embêtant

En plus d’être gentille, la dame est très compréhensive. J’analyse tout ça :

– C’est-à-dire que vous me demandez de réserver une date alors que ce n’est pas sûr que vous m’inviterez, et si vous m’invitez, c’est pour que je fasse à peu près 2000 km de trajet en tout, que je prenne 3 jours de mon temps, et ça pour…. RIEN ?

– Mais on vous paie le trajet et l’hébergement !

–  J’aurais peut-être accepté si vous prévoyiez au moins 2 journées de rencontres en collèges et lycées, mais là ce n’est pas possible.

Mais certains auteurs acceptent de venir !

– Je pense que la sélection pour votre prix se fait certainement davantage par critère géographique, et que les auteurs qui acceptent n’habitent pas loin, ce n’est pas très juste… Je suis désolée, moi je dois décliner votre invitation.

– Je comprends, je comprends. »

Voilà comment ≠bleue ne sera pas dans la sélection du prix Biiiiip.

Cette conversation date d’il y a une heure, mais ça fait un petit moment que j’ai envie de parler de ces prix qui n’en sont pas, hélas courants en littérature jeunesse. Parlons d’abord des vrais prix, c’est-à-dire ceux qui gardent en sélection les romans des auteurs même s’ils ne peuvent pas venir à la remise des prix (modification apportée à mon texte originel où je disais qu’un vrai prix est un prix primé, or l’intervention de Vincent Villeminot sur Facebook m’a éclairée sur le fait que ce n’est pas une obligation). Si aucune prime n’est prévue ce n’est alors pas grave, il appartient à l’auteur gagnant de donner de son temps, ou non. Ca reste son choix. Mais ces prix-là sont souvent dotés même faiblement ou bien proposent à l’auteur des rencontres payées à la clé, s’il peut venir. L’une des organisatrices d’un de ces prix dotés m’a donné la semaine dernière un argument frappant : « on dit aux ados qui votent qu’ils vont permettre à l’auteur qu’ils préfèrent de gagner une somme d’argent qui va lui permettre de continuer à écrire des romans, ne serait-ce que pendant un mois. Ca responsabilise leur choix, et ça leur donne de l’importance« . Même si le prix n’est que de 300 euros, cette « importance » est accordée autant aux jeunes votants qu’à l’écrivain. Importance, mais aussi respect.

(J’ajoute quelques heures plus tard après la première publication de cet article, pour être juste, que par exemple le prix Goncourt, en littérature générale, n’est doté que d’une somme symbolique de 10 euros, et ce n’est pas choquant parce que le prestige du prix est si grand que l’impact financier généré par les ventes suite à ce prix est considérable. De même le prix des Incorruptibles pour les jeunes, non doté, est formidable pour les rencontres payées qu’il génère. Rien n’est tout blanc ou noir, jamais, et il faut savoir composer sans être rigide. Seul le sentiment d’injustice flagrant est à interroger : quand se combine le trio pas de dotation, pas de rencontres payées, obligation de promettre de donner de son temps gratuitement – sans quoi le livre est retiré de la sélection).

Je me sens de plus en plus infantilisée lorsque le « prix » consiste uniquement en des dessins ou bricolages ou sculptures en argile, souvent faits par les enfants. Donne-t-on aux écrivains « vieillesse » uniquement des lettres de leurs lecteurs lorsqu’ils gagnent un prix ? (« Et que dire des prix que nous recevons dans des salons qui remettent, par ailleurs, un prix « vieillesse » bien doté alors que nous repartons avec un dessin ou un bouquet de fleurs ? » ajoute Béatrice Egemar sur ma page Facebook. En effet très humiliant !) Un prix ne doit-il pas être considéré comme un encouragement à continuer d’écrire ? Et quoi d’autre que de l’argent, dans notre monde, peut aider l’auteur à continuer d’écrire ? Le plus souvent, le prix consiste simplement en RIEN. On annonce le truc sur une estrade et hop voilà. Si vraiment le budget manque, ce qui est très compréhensible, accordons au moins à l’auteur gagnant la possibilité d’intervenir deux journées au tarif charte, pour compenser.

C’est accorder bien peu de poids (bien peu de prix) aux lectures des enfants et des adolescents que de leur faire croire qu’ils vont faire plaisir à leur auteur préféré en le primant sans rien lui donner ou sans le faire travailler (et je ne reviens pas sur le cas très courant des sélections par défaut qui vont donner une pauvre image de la littérature à ces jeunes – voir conversation ci-dessus). C’est leur faire croire que l’auteur fait partie intégrante d’un vaste projet éducatif, simplement destiné à leur faire avaler des lectures obligatoires. Or non, l’écrivain n’est pas un enseignant (la preuve : il n’a pas son salaire), il n’a pas été associé au projet d’école ou de collège, et il n’a pas à se réjouir de participer à une mascarade de prix. Et non, les enfants et les adolescents n’ont pas à se réjouir non plus qu’on considère leurs écrivains préférés comme des gens dont le seul but serait pédagogique. Et enfin les écrivains qu’aiment les jeunes méritent davantage de considération, parce que les jeunes eux-mêmes méritent d’être considérés.

Alors je sais que les organisateurs de ces « faux prix » donnent beaucoup d’eux-mêmes, qu’ils sont pleins de bonnes intentions, que leur seul désir est que la lecture vienne aux jeunes, et je les admire pour l’énergie qu’ils donnent, surtout quand ce sont des bénévoles. Mais si moi aussi j’ai été bénévole ici ou là, c’était par choix et par engagement. Je n’ai pas envie qu’on m’y oblige. J’ai envie qu’on respecte mon travail. Et puis je trouve que ces « prix » qui n’en sont pas participent à une ambiance générale de jeunesse-bashing qui me paraît très triste.

(Attention, texte vivant – modifs en bleu ! Lire aussi toutes les réactions et expériences diverses d’autres auteurs en commentaires de cet article ou sur ma page Facebook, qui illustrent et complètent bien mon propos).

Dans un prochain billet, et dans le même thème, je m’emploierai à combattre l’idée reçue qui consiste à répéter jusqu’à la nausée que les ados d’aujourd’hui ne lisent plus, ma bonne dame…

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18 Commentaires
  • stephanie Richard
    17 mai 2016

    Ah ben, je viens tout juste d’apprendre que je vais recevoir mon premier prix et il est doté! (la chance de la débutante!) c’est le prix de la ville de la Garde. 11 classes de CM2 ont voté et je devais aussi me rendre disponible, mais bon pour un prix doté, ça me semble légitime…
    Merci pour cet article très instructif Florence!

  • Annie FALZINI
    6 mai 2016

    Hé bien , je pense que ce serait vraiment très bien de parler aussi des autres prix. Ceux où on respecte les auteurs et les lecteurs. Et, il y a un prix que je connais bien , le Prix des Dévoreurs de livres, dans l’Eure. Un prix où toues les classes rencontrent un des auteurs des livres sélectionnés, payés au tarif de la Charte, auteurs que nous accueillons, accompagnons de rencontre en rencontre, et, qui même, si ils ne se déplacent pas, pour cause d’empêchement majeur, reçoivent un chèque, si ils sont primés. Je pense que Marine se souvient que Les Autodafeurs ayant reçu le prix, elle a reçu un chèque, malgré son absence à la remise du prix. Et dès le vote des lecteurs, on prévient les gagnants et les perdants.
    Mais en vous lisant, je comprends mieux pourquoi le Prix des Dévoreurs a bonne presse chez les auteurs.
    Annie

    • FH
      8 mai 2016

      Regardez bien sur mon blog et vous verrez que je parle des autres prix, ceux qui se passent très bien (je reviens de Genève et de Loudéac où les prix ne sont pas critiquables, loin de là ; je suis revenue, sur ma page fb, sur le fabuleux prix Livre mon ami, etc, etc). Heureusement qu’il en existe, et bravo pour le vôtre ! Bonne continuation.

    • Carteron Marine
      8 mai 2016

      Je confirme ce que mentionne Annie. Pour le Prix des Dévoreurs j’ai eu la surprise de recevoir un chèque alors que je n’avais pas pu faire le déplacement ….le seul et unique sur 25 récompenses ( j’aurais peut-être dû l’encadrer au lieu de l’encaisser )

      • FH
        8 mai 2016

        🙂 Il y en a quelques-uns qui sont dotés en effet, parlons-en ! Moi j’en ai eu quelques-uns, celui de Vannes (pourtant c’était la 2e place, dotée aussi), de Loudéac (sont bien dans cette région !), le prix RTS de Genève, le prix des collégiens lecteurs de Gironde, le prix des lecteurs du Mans, le prix Livre mon ami. Mais d’autres qui ne sont pas dotés restent très respectables par l’honnêteté de leur sélection (sans obligation de présence de l’auteur + rencontres payées s’il vient).

  • Cathy
    2 mai 2016

    Merci Florence, c’est tout à fait ça ! Et merci à Séverine aussi, pour ce retour d’expérience édifiante. J’ai aussi été « virée » d’un prix parce que je ne voulais pas retenir une date et venir gratos « au cas où je l’aurais »… (et je ne parle même pas des prix où tu es sélectionnée, et puis… plus rien… tu ne l’as pas, et rien… même pas un mail pour te donner le nom des gagnants !).

  • Nicolas Ancion
    2 mai 2016

    Résumé comme ça, le prix est en fait destiné aux lecteurs : ils choisissent quel auteur ils rencontrent au bout du processus. Florence a raison : c’est d’autant plus important de payer l’auteur si c’est lui qui est le trophée destiné à récompenser les lecteurs… Merci pour ce billet !

    • FH
      2 mai 2016

      Ah, je ne m’étais jamais vue en trophée, mais ce n’est pas faux !

  • JOSETTE MIALHE
    2 mai 2016

    prix « grain d’sel » voilà comment je l’appellerai<3

    • FH
      2 mai 2016

      Celui dont je parle s »appelle autrement.

  • Séverine Vidal
    2 mai 2016

    Chère Florence, j’ai parlé exactement de cela dans un récent post sur le forum de la Charte et je suis à 100 % d’accord avec toi ! Le mois dernier, j’ai eu à me battre, argumenter, (prendre de mon temps) pour que la demi-journée de remise de prix (et de rencontres) soit payée au tarif charte. On m’a aussi fait le coup du « c’est la première fois qu’on nous demande ça !’… Finalement, j’ai été entendue et ça servira aux autres auteurs les prochaines années.

    Et la semaine dernière, le prix Biiiiip (un autre Biiiiip que le tien ^^) nous envoie un mail pour nous donner
    le nom de la gagnante (pas moi). Puis deux jours plus tard, un autre mail pour nous dire que l’auteure n’étant pas disponible le jour de la remise, ils vont faire REVOTER les enfants (!!) seulement avec les livres dont les auteurs peuvent être là en juin. On a été plusieurs à dire que c’était inadmissible, que l’auteure a gagné, point. Faire revoter les enfants … nan mais et puis quoi encore ?? Finalement, deux auteurs seulement pouvaient se déplacer : elle a donc laissé les choses telles quelles et proposé une autre date à l’auteure lauréate. Ouf.

    Enfin, et là, j’en aurai fini avec ce long article, une année, on gagne un prix pour une série écrite à 3. Une de mes co-auteures se déplace et sent un léger malaise sur place. Sur un autre salon où j’étais en même temps pour recevoir un autre prix, je rencontre un collègue auteur qui me raconte qu’il était lauréat du prix Biiiiip mais qu’ils ont fait croire aux seconds qu’ils avaient gagné car eux pouvaient venir. Les seconds, c’était nous ! Il parlait du prix où ma copine était en même temps. Ils ont donc délibérément menti aux enfants en leur faisant croire qu’on avait gagné alors qu’on était « deuz ». Bref, quelque chose cloche et je te comprends tout à fait !

    C’était long ? Tu as tenu jusque là ? Je t’adore ! ….
    Bisous !!

    • FH
      2 mai 2016

      De quoi être en colère, tout ça ! Bises !

  • Carteron Marine
    2 mai 2016

    Bien dit, Florence.
    Récemment, alors que j’avais prévenu (clairement… j’ai vérifié ensuite mon mail pour être sûre…) que je ne serais pas disponible à la date de remise du prix Bibip, j’ai tout de même été sélectionnée. Le mois dernier, j’ai reçu un message m’indiquant que j’avais été plébiscitée par les jeunes (chouette) mais que si je ne pouvais « toujours pas » venir (ben, non, à moins que le ministère de l’éducation nationale change la date d’examen des BTS pour me faire plaisir quand je dis que je ne peux pas ce n’est pas un caprice) le prix serait remis à l’auteur(e) suivant(e) qui lui (elle) ferait l’effort de venir (sous entendu, pas moi qui suis une grosse vilaine méchante). Alors, je comprends parfaitement que ce soit beaucoup plus sympa pour les jeunes de rencontrer l’auteur(e)… mais dans ce cas là pourquoi m’avoir sélectionnée ? Et du coup, quel valeur donner à ce « prix de secours » ? Ce n’est honnête ni pour les votants, ni pour le (la) repêché(e).
    Bref, je trouve que c’est une très bonne idée de mettre ce sujet sur le tapis… 🙂

    • FH
      2 mai 2016

      C’est ça, c’est un problème d’honnêteté, surtout envers les jeunes votants.

  • Gratias Claire
    2 mai 2016

    C’est exaaaaactement ça !!! Merci Florence, pour la justesse de ce billet d’humeur… ainsi que pour ton humour ! Car mieux vaut en rire !