« Toutes les familles heureuses se ressemblent ; mais les familles malheureuses le sont chacune à leur façon. »
Viens de terminer le splendide Anna Karénine de Tolstoï, que j’ai lu avec délices. Les tourments de l’âme et du coeur y sont scrutés avec une acuité, une finesse et une humanité exceptionnels. Comment oublier Anna, Vronski, Lévine, Kitty, Stepan, Dolly, Karénine, Serge, et la foule de personnages secondaires qui gravitent autour d’eux ? Si Anna est bien sûr très frappante dans son mépris des conventions, j’ai beaucoup aimé le personnage de Lévine, particulièrement attachant dans une autre forme de droiture, qui apparaît également à contre-courant de la bonne société. Tous deux forment au final, pour moi, le vrai couple de ce chef d’oeuvre, bien que ne se rencontrant qu’une fois (et ce qui se passe entre eux est révélateur), en tant qu’individus en recherche constante de vérité, contre le flux de leur époque.
Il m’en restera, non pas un éblouissement stylistique (tel que j’ai pu en connaître chez Dostoïevski), mais des scènes très fortes en mémoire et, bien sûr, une façon toute nouvelle et sans doute indélébile de voir désormais les gares et les trains.
Les bons romans se reconnaissent sans doute à cela : à l’empreinte durable qu’ils laissent en nous…
Il est instructif de lire l’une des critiques qui furent écrites à l’époque de la parution du roman :
« Il (le roman) n’a pas d’architecture. On y voit se développer côte à côte , et se développer magnifiquement deux thèmes que rien ne réunit. Comme je me suis réjoui de voir Anna et Lévine faire connaissance ! Convenez, c’est l’un des meilleurs épisodes du roman. Vous aviez là l’occasion de réunir tous les fils du récit et de lui assurer un final harmonieux. Vous ne l’avez pas voulu, c’est votre affaire…»,
ce à quoi Tolstoï répondra :
« Je suis fier au contraire de son architecture, les voûtes se rejoignent de telle manière qu’on ne remarque pas où est la clef… »