Beaucoup de gens écrivent et, ce qui se comprend, ils sont en quête d’avis pour savoir ce qui est bon, ce qui est à améliorer, ils cherchent à savoir pourquoi ce qui a du succès sur la toile ou parmi leurs relations ne trouve pas d’éditeur ; je comprends leur désarroi, c’est un mystère toujours renouvelé, ce qui est édité ou ne l’est pas, et croyez-moi je n’ai pas non plus la réponse. Mon désarroi est souvent le même que le vôtre.

Vous m’écrivez, vous me demandez de lire vos textes et de vous fournir un avis, et je vous avoue que vos demandes me plongent dans un grand embarras. Quand j’ai moi-même débuté (aux alentours de la préhistoire), on ne pouvait pas contacter aussi facilement qu’aujourd’hui via Internet les écrivains déjà publiés. Je n’ai pas connu cette proximité et j’ignore si je me serais tournée vers eux, si je leur aurais demandé de lire mes récits en quête de leur opinion. Peut-être, je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit j’ai de plus en plus de demandes de ce type, qui s’ajoute aux manuscrits que me donnent certains élèves quand je vais dans leur classe pendant l’année scolaire. J’en suis flattée. Ce sont souvent des lecteurs qui ont aimé mes romans et la démarche est timide et touchante. Elle me touche, oui, et je suis d’autant plus gênée pour élaborer une réponse. Car cette réponse est la plupart du temps négative, quel que soit l’âge de l’apprenti écrivain.

Je m’en explique ici parce que je crois que cette demande dissimule une vision biaisée de ce qu’est un écrivain.

D’ abord je dis « la plupart du temps » car je suis humaine et il peut y avoir des exceptions, un mot dans le mail, quelque chose de particulier, un je ne sais quoi qui va me pousser à lire les premières pages et à répondre si elles me touchent. Mais c’est rare, d’abord parce que le temps me manque. Et c’est cela qu’il faut comprendre quand on s’adresse à un écrivain qui exerce son métier d’écrivain à plein temps : il manque incessamment et dramatiquement de temps. Si je lis un manuscrit pour donner un avis, ce sera par amitié. Si je lis des romans, c’est pour mon plaisir et un apport spirituel essentiel.

En outre, obtenir un avis d’écrivain risque fort de ne pas mener à la publication de son projet – et c’est l’attente générale, le but ultime de ceux qui demandent un avis. Car un écrivain a un regard d’écrivain, d’abord qui lui est propre et singulier, qui a de grands risques d’être d’ailleurs très particulier, et qui a fort peu de chances de rencontrer celui des apprentis écrivains qui le contactent.
La seule personne à qui demander des avis pour savoir si son projet est publiable, c’est bien sûr un éditeur, qui a un regard global et dont l’essence même est de savoir se couler dans plusieurs univers de plusieurs écrivains. En outre, c’est son métier : lire des manuscrits, répondre aux auteurs, et s’il est séduit amener un texte et un auteur au meilleur d’eux-mêmes. Nombre d’éditeurs en littérature jeunesse écrivent d’ailleurs des lettres de refus circonstanciées aux auteurs qu’ils sentent prometteurs, qui peuvent beaucoup les aider à comprendre ce qu’il faut améliorer dans leurs textes.

(Savoir que cela peut être aussi le travail d’un agent littéraire. Vous noterez d’ailleurs que lorsqu’ils acceptent ce travail d’aide sur un texte, éditeurs et agents sont payés pour cela.)

Lire des manuscrits d’autres auteurs ne fait pas partie des attributions du métier d’écrivain, qui d’ailleurs ne sait peut-être pas le faire bien – il n’a pas été formé dans ce but, contrairement aux éditeurs – , hormis dans le cadre d’ateliers d’écriture si l’écrivain se sent à même d’en mener (c’est un autre métier, pour lequel personnellement je me suis formée). Mais dans ce cas l’écrivain est présent dans son aide dès la genèse des textes – et vous noterez que là aussi, vu que c’est un vrai travail qui prend beaucoup de temps, il se fait rémunérer. Il fait alors oeuvre de maïeutique, non de critique. Aider à accoucher d’une idée, travailler et aider à améliorer un texte, c’est sérieux, important, humain, cela ne peut se faire via quelques échanges rapides, internautiques ou non. Et ce travail en ateliers d’écriture n’a pas pour but ultime d’amener les textes produits vers la publication. Il a pour but ultime d’amener un être humain à exprimer au mieux ce qu’il porte aux tréfonds de lui-même.

Je réitère donc toutes mes excuses à ceux à qui j’ai déjà ou à qui je vais refuser de lire puis de donner mon avis sur leur texte. Sachez que je vous soutiens et vous encourage, car l’écriture est une jolie activité, et que si elle vous est venue vous avez une flamme en vous qui vous y a mené. Peut-être y a-t-il parmi vous de futurs grands écrivains ou simplement des écrivains bientôt publiés. Je ne me frapperais pas de ne pas vous avoir répondu par l’affirmative, et d’ailleurs j’espère que vous ne me frapperez pas non plus ! Je me frapperais d’être passée à côté de vos textes si j’avais été éditrice. Peut-être aussi qu’un jour nous finirons par devenir amis à force de nous côtoyer dans les salons du livre. Et alors, peut-être aussi que je lirais avec plaisir vos romans déjà publiés, ou ceux qui ne le seraient pas encore.

 

(Samuel Beckett en train de travailler…)

 

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2 Commentaires
  • Stern
    31 juillet 2017

    Il me semble en effet qu’être primo-lecteur d’un manuscrit est un vrai travail qui demande beaucoup d’efforts. J’arrive pour ma part même pas toujours à lire les manuscrits de mes amis. Je ne suis pas publiée, j’ai un travail à côté qui m’occupe en partie et je veux aussi pouvoir écrire pour moi-même et lire des romans pour moi-même, une activité qui n’a strictement rien à voir avec la lecture de manuscrits. Comme quand il fallait lire une oeuvre pour la fac, on s’y engage d’une façon radicalement différente, on ne peut pas s’y attarder tard le soir au risque de ne pas se souvenir de sa lecture le lendemain. Non, il faut consacrer une part de temps éveillé, actif, conscient et plein d’énergie pour pouvoir en dire des choses intelligentes. Sinon, cela n’a aucun sens, n’est-ce pas?
    Il m’est aussi arrivé de lire le manuscrit d’une amie et de lui répondre finalement « je n’ai rien d’intelligent à en dire », parce que personnellement ça ne m’a pas touché, ce qui ne signifie pas que c’est mauvais.
    Bref! Je vous comprends et je trouve que c’est normal…! Mais remarquez, je ne vous ai pas envoyé mon manuscrit et j’avoue que je n’aurais jamais pensé ni osé le faire.

    • FH
      1 août 2017

      Bonnes écritures (et lectures) à vous !