Quand je me suis rendue aux Utopiales en 2017, j’avais adoré participer à la table ronde passionnante sur la police prédictive, et détesté participer à celle sur la mémoire numérique, trustée par des spécialistes du futur qui se prenaient très très au sérieux. Cette morgue et cette assurance m’avaient pour le moins désarçonnée.
Je ne suis que peu étonnée, hélas, de constater que certaines de ces personnes-là puissent se sentir flattées d’être sollicitées par l’armée de leur pays, pour « prédire » quelles innovations technologiques pourraient l’améliorer (https://www.franceculture.fr/…/science-fiction-quand-larmee…).
Quand on écrit ou quand on raisonne sur ce que sera le futur, on ne fait (par définition) que spéculer, certes en s’appuyant sur des données actuelles avérées et inquiétantes, mais cela reste de la spéculation. Se prendre au sérieux au point d’accepter de conseiller le ministère de la défense en quête de « scénarios de futurs possibles », cela relève pour moi de la folie pure.
Exemple illustratif. J’ai découvert hier lors des recherches pour mon livre en cours que c’était George Orwell qui avait inventé le terme de guerre froide en 1945. C’est ensuite le conseiller de Truman qui l’a repris dans un discours et ainsi popularisé. Voilà l’unique influence que peut avoir un·e écrivain·e sur la politique de son pays : par le langage et ses écrits.
Si nos livres (encore faut-il qu’ils soient lus) peuvent faire réfléchir nos décideurs, qu’ils soient du ministère de la défense ou de la santé ou autre, c’est justement ce que l’on souhaite ardemment, car les auteurs et les autrices d’anticipation lancent souvent leurs romans comme des bouteilles à la mer dans l’espoir fou que ce qu’ils décrivent n’arrivent jamais.
Un auteur ou une autrice d’anticipation imagine le pire pour alerter, non pour conseiller l’armée de son pays. La dérive est immense. Le cynisme du gouvernement, dans cette histoire, monumentale. L’idée de ce qu’est la littérature, totalement dévoyée.
Merci à La Volte et à Alain Damasio de rappeler, face à cette Red Team, que les auteurs et autrices de SF n’ont pas pour rôle d’aider un pays à se maintenir en « état de guerre permanente » (sic). C’est ici.
Et, cher ministère de la défense, vouloir ouvrir votre regard et réfléchir différemment, c’est tout à votre honneur, mais contentez-vous de lire nos romans. A eux seuls ils sont bien plus puissants qu’un pool d’auteurs et d’autrices en mal de reconnaissance. A moins que je n’aie pas bien compris ce que vous recherchez ?
Les bons écrivains touchent souvent la vie du doigt. Les médiocres ne font que l’éffleurer. Les mauvais la violent et l’abandonnent aux mouches.
Ray Bradbury dans Fahrenheit 451
Michèle Bayar
4 novembre 2019En lisant le début de ton texte, j’ai tout de suite pensé à Alain Damasio et à la Volte. Merci du lien que tu proposes.