Même si je ne suis pas fan des romans de fantasy « à quête », qui suivent très exactement ce qu’en jargon enseignant on appelle « le schéma de Propp » (je préfère la fantasy aux scénarios plus complexes comme celle de Dabos ou de Pullman), et même si j’ai été un peu agacée par des passages convenus du style course-poursuite-sur-la-place-du-marché-bondée ou pont-suspendu-qui-s’écroule, ou encore par le manque d’immersion visuelle (LE point que j’avais adoré et qui m’avait tant surprise dans *La passe-miroir*) – et j’en ai fini ici des points négatifs -, j’ai suivi avec plaisir les aventures de Zélie, Amari, Tzain et Inan.
Car la grande originalité réside ailleurs : tout le contexte culturel est celui du Nigéria, pays d’origine de l’autrice Tomi Adeyemi, ou en tout cas d’une Afrique dense, foisonnante, riche et magique. Et donc on peut dire que c’est le premier roman de fantasy à grand retentissement dont les personnages ont la peau noire. Ces personnages, qui plus est, sont très fouillés et très bien maîtrisés par l’autrice, et ce qui m’a le plus plu dans cette histoire, ce sont leurs interactions et leurs évolutions psychologiques.
En plus de cela, les personnages autant féminins que masculins échappent totalement aux stéréotypes qu’on rencontre encore trop souvent dans une certaine fantasy.
Malgré les quelques points négatifs listés plus haut, je considère donc ce roman comme une réussite, grâce à cette originalité très rafraîchissante, mais aussi grâce à ce lien que fait l’autrice entre la violence bien présente dans son histoire et l’actualité et le passé américains. Cette violence n’est nullement gratuite puisque son objectif est clairement explicité dans une note à la fin du livre : elle espère que les lecteurs et lectrices qui seront émues par la mort de tel ou tel personnage le seront tout autant face aux violences policières exercées sur la population noire des Etats-Unis.
C’est donc le pendant fantasy du *The hate U give* d’Angie Thomas (également traduit chez Nathan – roman que j’avais préféré/adoré sans doute parce que je suis plus versée vers le réalisme que vers la fantasy).
On pourrait rétorquer aux éditions Nathan qu’elles exportent en France un problème américain qui nous concerne moins, mais ce serait oublier que 1. Tout concerne la jeunesse/l’humanité tant que cela concerne des êtres humains, 2. Le racisme envers la population noire existe aussi en France, même s’il s’exerce de façon différente, 3. C’est aussi Nathan (avec Syros) qui a publié mon U4.Yannis, dont le héros est d’origine maghrébine, ce qui était un choix politique de ma part, car je crois bien que c’est le premier héros d’origine maghrébine dans une saga post-apocalyptique – ce que quasiment personne n’a relevé à l’époque de sa sortie, et dans un sens c’était tant mieux.
Les éditions Nathan (et Syros), donc, depuis quelques années déjà ont une ligne éditoriale en ados et YA qui est clairement engagée (racisme et sexisme en tête).
Parenthèse : je trouve très fort par ailleurs, même si parfois en tant qu’adulte il me manque quelque chose, que leurs romans restent à hauteur d’ados dès 12-13 ans, dans des genres très divers, contrairement à d’autres collections chez d’autres maisons d’édition, qui publient des romans de grande qualité stylistique mais d’une complexité qui laisse sur le bord du chemin bien des lecteurs et lectrices fragiles, ainsi que les ados plus jeunes (un peu abandonnés je trouve en ce moment par les maisons d’édition).
(Voilà c’était mon moment d’hommage envers Nathan/Syros, de mes maisons d’édition privilégiées :-))
Vous pouvez sans hésiter offrir *De sang et de rage* à vos ados, donc, de Tomi Adeyemi, dont on attend la suite à venir…