*Nos éclats de miroir* aux éditions Nathan, et *Renversante* aux éditions de L’Ecole des Loisirs, parus récemment à un mois d’intervalle, sont plus complémentaires qu’ils n’y paraissent au premier abord. Ils représentent deux façons d’être parmi la multitude de façons d’être qui me traversent et m’ont traversée. Deux façons de vivre en tant que fille/femme/humaine. La première dépeint la difficulté et même l’absence du désir de s’affirmer contre les autres quand on aimerait les prendre en compte autant voire plus que soi-même, et quand on pense qu’il y a tellement plus grand et important en ce monde. La seconde illustre le choix que fera certainement Cléo telle que je la laisse à la fin de *Nos éclats…*, quand elle se rendra compte que s’affirmer soi n’est pas un acte égoïste, mais un geste solidaire envers tous ceux et toutes celles qui sont stigmatisées pour ce qu’ils ou elles sont.
S’affirmer en tant que femme, et affirmer un droit à la dignité d’être humain égal à celui des hommes, c’est un geste solidaire. Il me dérange et m’encombre pourtant souvent, car j’aimerais tellement, tellement, vivre sans identification autre que celle d’être humain. Quelle légèreté c’était de vivre ainsi lorsque je n’étais pas encore féministe ! J’ai approché durant quelques années de ma vie de jeune adulte cette légèreté dans laquelle vivent beaucoup d’hommes. Approché seulement car c’était dans un profond déni de tout ce que je subissais comme insultes ou attouchements dans la rue ou les transports en commun, déni du plafond de verre contre lequel je commençais déjà à me heurter, déni de ma très grande auto-censure, déni du peu de poids qu’avait ma parole dans certaines discussions avec des hommes, déni du dénigrement, déni de cette pression permanente sur nos corps, sur notre apparence, notre sexualité, de ce travail insidieux de sape permanent qui nous ôte sans qu’on s’en rende compte confiance, volonté, liberté, espaces de création… et j’étais surtout dans le déni de ce que vivent quantité de femmes beaucoup moins nanties que moi.
Je ne dirais jamais assez combien il est compliqué d’être féministe, bien que cela soit une évidence de l’être – je suis encore estomaquée face à toutes ces femmes et tous ces hommes qui ne le sont pas à l’heure actuelle. Cela n’a rien à voir avec la fierté d’être femme, qui est davantage illustrée par *Nos éclats…* que par *Renversante*. Je suis féministe par obligation morale, parce que je n’ai pas le choix, par dignité, et non par fierté ou par désir d’affirmation. C’est juste éminemment politique – et peut-on éviter la politique lorsqu’on veut vivre dans la cité ?
Si j’ai écrit *Renversante* et que je l’ai travaillé pour qu’il soit le plus percutant possible, c’est dans l’espoir que cette évidence d’être féministe, dans la société actuelle, saute enfin aux yeux de nombreux hommes, de nombreuses femmes et de nombreux enfants qui tous et toutes ensemble pourront oeuvrer pour que les choses changent enfin. Je l’ai écrit dans l’espoir qu’un jour enfin je n’aurais plus à être féministe, car c’est parfaitement épuisant, parfaitement antinaturel, et que cela me demande une énergie que j’ai tellement, tellement envie de dépenser ailleurs… En attendant, pour qu’advienne un monde un peu meilleur pour tous et toutes, je ne baisserai pas les bras, vous pouvez compter sur moi.
Et au fait, à propos de Nos éclats de miroir ☺️:
Le Parisien du 17 février 2019 – 5 livres à glisser dans la valise des enfants : « Ce livre est un petit bijou tant par le sujet compliqué – l’adolescence – qu’il aborde que par la magnifique écriture à fleur de peau de l’auteure. « Je vais te parler de ses éclats de miroirs. Les tiens, les miens, les leurs », écrit Cléo. Après le magnifique « Grand Saut », Florence Hinckel explore avec toujours autant de justesse et de tendresse le monde complexe des ados. »