Beaucoup travaillé cette semaine (une fois n’est pas coutume).
Entre autres, oeuvré à une chose absurde : passer entièrement un texte de 160 000 signes du passé composé au présent de narration. Ça m’a pris deux jours. J’ai eu l’impression de tricoter.
Cependant, bien obligée de constater que ça fonctionne mieux comme ça. Quelle idée, aussi, le passé composé…
Le passé composé, […] c’est un temps imprécis, médiocre, bête et mou. Nous avons été réveillés par la fusillade
…Bon. Et alors? L’histoire est finie avant d’avoir commencé. Tandis que Nous fûmes réveillés par la fusillade
…Tu vois? Tu as dressé l’oreille. Tu attends la suite. Marcel Pagnol
Mais il y a quand même L’Etranger, écrit entièrement au passé composé, donnant l’impression d’actes clos sur eux-mêmes.
Le temps de narration est un truc qui me pose souvent problème. D’emblée, j’ai le réflexe d’utiliser le système du passé simple/imparfait, qui est le temps du conte : il était une fois… Le temps du récit par excellence. J’adore écrire avec ce système-là. C’est une petite victoire pour moi d’avoir réussi à faire admettre ce système sans trop de difficultés à mes éditeurs, pour Théa pour l’éternité. L’histoire, qui se balade dans le temps, ne pouvait de toute façon pas être racontée autrement. Mais en littérature jeunesse, le passé est de plus en plus rarement utilisé. Et je sais que j’ai dérouté quelques lecteurs (une blogueuse en particulier), parce que j’ai eu en plus l’audace de raconter des rêves au présent. Les rêves : hors du temps.
Si on y regarde bien, de nombreux textes de littérature générale sont aussi écrits au présent de narration, désormais (et depuis le Nouveau Roman). Je n’ai rien contre ça. J’aime assez, cela apporte une proximité, une dynamique, une certaine immédiateté qui peut convenir à certains sujets. Cela peut même être utilisé très judicieusement et de façon efficace pour rapporter les méandres de la pensée. Je conçois aussi assez bien qu’on utilise ce temps dans les romans pour enfants ou adolescents. Cela les plonge directement dans l’action et les pensées des personnages.
Ce que j’ai plus de mal à concevoir, c’est qu’on en fasse une généralité. Parce que nécessairement, le récit entièrement au présent se déroule dans un ordre chronologique parfait (je parle des actions et non des pensées), qui n’admet aucun retour dans le temps, aucune projection, aucune réflexivité. Une structure de récit complexe ne peut pas se contenter du présent. Et je pense qu’on peut préparer les enfants à ce type de récit, et qu’on peut évidemment déjà en proposer aux ados.
L’immense paradoxe, c’est que la tendance actuelle en littérature pour ados, ce sont des romans à structure forte et complexe : thrillers psychologiques, polars, récits d’aventure… La forme ne doit-elle pas nécessairement découler du fond ? En tout cas je le pense avec conviction. J’ai lu récemment un thriller pour ados, et en tant qu’auteure j’ai ressenti avec douleur la propre douleur que s’est imposée l’auteur de tout écrire au présent. Se l’est-il imposé lui-même ? Est-ce une demande de l’éditeur ? Bon, les ados ne ressentiront certainement pas ce que j’ai ressenti, et le roman, très bon par ailleurs, leur plaira certainement.
Mais cela interroge.
florence
2 novembre 2012Le thriller que j’ai lu était à la troisième personne et au présent, c’est un choix qui faisait artificiel. Peut-être que ça peut fonctionner mais je n’en ai pas d’exemple en tête. A la première personne moi j’aime bien utiliser le présent, mais effectivement ça ne peut marcher que dans certains cas. T’as réussi à n’utiliser le présent qu’une fois dans tous tes romans jeunesse ? Vive Thierry Magnier ! (et vive toi bien sûr :-))
Pascale
29 octobre 2012Ce qui dicte tout, c’est le choix du narrateur, non? Dans un récit à la 3ème personne, je suis comme toi, presque toujours tentée par le passé simple. Mais je note que de plus en plus, j’ai envie d’entendre la voix du personnage, et là le passé simple n’est plus vraiment possible pour un récit rétrospectif. Le présent, je ne l’ai utilisé qu’une fois je crois, mais je trouve que c’est une espèce de mise à plat un peu appauvrissante.