Il ne s’agit pas de vivre et d’écrire mais de : vivre – écrire et de : écrire – vivre. C’est dire que tout ne s’accomplit et même ne s’éprouve (ne se comprend) que dans un cahier.
N’importe, bien ou mal, c’est une délicieuse chose que d’écrire ! que de ne plus être soi, mais de circuler dans toute la création dont on parle. Aujourd’hui par exemple, homme et femme tout ensemble, amant et maîtresse à la fois, je me suis promené à cheval dans une forêt, par un après-midi d’automne, sous des feuilles jaunes, et j’étais les chevaux, les feuilles, le vent, les paroles qu’ils se disaient et le soleil rouge qui faisait s’entre-fermer leurs paupières noyées d’amour –
(…) écrire ne prend rien du tout, écrire rêve de ne pas arrêter ce qui est en train de se perdre, rien de plus impuissant et désespéré, donc rien de plus fidèle aux infidélités de la vie.
Et cette impossibilité de ne pas oublier – ma naissance, mes moments, celles et ceux de la terre – résonne comme un éclat premier, un don brisé, un déchirement porteur d’un monde déchirant.
L’origine est cette violence, son sceau et son rougeoiement, telle l’embuscade des sexes, après quoi, abasourdi, le taire tombe, la terre va, volubile et blessante.
Par la coupure du naître, par le viol et l’instant, par le dol de l’élan.
Quand l’herbe m’accueille, immémoriale et récurrente … Dans le vif de la phrase comme dans l’avant-voix qui est le paysage.
27 mai 1914.
Violente averse. Mets-toi face à la pluie, laisse ses rayons de fer te pénétrer, glisse dans l’eau qui veut t’emporter, mais ne bouge pas, reste droit et attends le soleil qui va couler à flot, subitement et sans fin.