On pourrait penser qu’il s’agit juste d’une querelle de clocher, mais moi ça me passionne, parce que la question « qu’est-ce qu’un·e philosophe·sse ? » est fondamentale. La philosophie est l’un des domaines que je respecte le plus. C’est certainement le domaine qui aide le plus à vivre (avec la littérature).

Je me la suis souvent posée cette année car de jeunes gens parmi mes proches ont eu, dans deux établissements différents, dans deux villes différentes, l’un en prépa, l’autre en lycée général, un modèle de professeurs de philosophie comme sorti d’un même moule. Deux professeurs très compétents, très enthousiastes face à leur discipline, certainement qui donnent envie de philosopher, mais très réacs, très conservateurs, ce qui les regarderait s’ils ne ressentaient le besoin de partager leurs opinions politiques souvent discriminantes avec leurs étudiant·e·s ou sur twitter. Opinions graves car elles peuvent amener certains ou certaines de ces jeunes gens à se déprécier. Ce qui n’est pas le but d’un cours de philosophie, censé au contraire élever l’âme (quel que soit le corps qui l’abrite, faut-il le rappeler) bien au-delà des barrières communautaires.

La philosophie est bien le seul domaine qui pourrait nous faire tous et toutes rejoindre, par la voie de la raison. C’est donc un gâchis immense que de la troubler avec les opinions du professeur.

Mais voilà, il semble de bon ton quand on est professeur de philosophie d’adopter, dans ses cours-mêmes ou sur twitter, une posture tout à fait similaire à celle d’un Raphaël Enthoven… sur twitter également. Une posture virile, dure, cassante, sûre de soi et peu encline au doute.

Raphaël Enthoven… Il fut un temps où je ne ratais pas une seule de ses émissions sur Arte. J’espère qu’elle n’a pas trop changé depuis que je n’en ai plus le temps mais je la trouvais vraiment bien, cette émission Philosophie. J’aurais sans doute continué à trouver formidable l’entreprise de vulgarisation de la philosophie opérée par Raphaël Enthoven… s’il n’avait cédé aux sirènes de twitter, qui hélas en quelques mots ne peut que réduire une pensée. On ne peut réfléchir à rien, sur twitter : on est d’accord ou pas d’accord. Est-ce donc un outil digne d’un philosophe ? Un philosophe (ou un professeur de philosophie, comme se qualifie Raphaël Enthoven, qui n’a pas la prétention de se dire philosophe et cela, c’est sage) ne doit-il pas conduire une réflexion, au lieu d’asséner des Vérités et des opinions politiques ? Ou bien, s’il le fait, ne doit-il pas émettre un signe explicite : « attention, ici je ne m’exprime pas en tant que professeur ou spécialiste de philosophie, mais en tant que moi-même » ?

Il y a donc, à cause seulement de cette attitude et de ces opinions exprimées sur twitter, cette « querelle de clocher » : ce refus de la philosophesse Jeanne Guien de se rendre à l’émission de Raphaël Enthoven. Elle s’en explique ici  dans une lettre que je trouvais formidable et très digne en première lecture, mais qui m’a de plus en plus gênée à force d’y penser. Puis il y a eu cette réaction à cette réaction, de la philosophesse Marylin Maeso, qui permet de prendre plus de recul. Cette dernière réaction est plus sage il me semble, après réflexion :

« J’ai toujours préféré à l’image du philosophe victorieux qui atteint l’Idée du Bien et se donne pour mission d’éclairer les autres celle de Sisyphe, dont l’ascension, entre joie et doute, parce qu' »il n’y a pas de soleil sans ombre », est inachevable. »

Etre philosophe, n’est-ce pas en effet confronter ses idées, se frotter à des opinions différentes, les écouter, en débattre, et admettre qu’on ne sait pas si on a raison ? Je trouve dommage, par exemple, de ne pas pouvoir visionner une émission avec Jeanne Guien dont je ne connais pas le travail. D’autant plus que dans ses émissions j’ai toujours trouvé Raphaël Enthoven très bienveillant et laissant toute sa place à l’invité·e. Cela aurait été une belle émission, qui sait, capable de nous faire réfléchir, sans doute. Je trouve dommage que seuls des tweets soient à l’origine de cette querelle (tempête dans un verre d’eau), et surtout qu’ils débouchent sur un refus de dialoguer, et surtout de philosopher. Peut-on considérer que twitter reflète la pensée d’un philosophe, ou qu’il enlève du crédit à un professeur ou spécialiste de philosophie, ce qu’est davantage Raphaël Enthoven ? Twitter (ou un dossier dans Le Point – dont la une me fait bondir mais bon) ne reflète-t-il pas uniquement la pensée d’un homme ou d’une femme derrière le ou la philosophe, et c’est tout ? Peut-être qu’il faut distinguer ces deux choses (ou peut-être le professeur de philosophie doit-il aussi apprendre à se taire, parfois, mais c’est une autre histoire). Bref, de la mesure en toutes choses serait assez sage, ainsi que de l’écoute et du dialogue. Et du doute, aussi…

Sans le doute, le dialogue est impossible, et la philosophie s’éloigne.

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