La littérature sur écran… Ci-dessous, une pensée de l’an 2000, déjà obsolète (tablettes et livres numériques ont pris une plus grande place sur le marché, et on peut maintenant se rendre compte que si le livre n’est pas « support », cela ne change pas grand-chose qu’on le trouve sur un autre, tel un écran. Et que publier est resté publier, et qu’être internaute ne suffit pas à être auteur). La vision de Deguy ici manque de foi dans l’avenir et le progrès. C’est peut-être, cela dit, une pose très consciente de la part de celui qui a écrit L’énergie du désespoir (ou D’une poétique continuée par tous les moyens), afin de nous faire réagir, et au moins réfléchir. Ce texte a peut-être permis des prises de conscience à l’époque déjà reculée de notre an 2000.
Pour ma part j’ai une grande fascination et je peux dire un amour du progrès (et une forme d’aversion envers la nostalgie), et cela me fascine aussi d’observer de quelle façon l’homme s’adapte au progrès bien souvent plus que le contraire, mais il faut je crois sans cesse y réfléchir, voir ses dérives, savoir prendre les bons chemins (j’ai envie de dire : pourtant ne surtout pas « résister » dans le sens de figer ou revenir dans le temps, car cette sorte de résistance en art me paraît contre-productive, mieux vaut écouter et parler de l’air du temps, à l’instant T de ce temps), prendre les bons chemins donc afin que la littérature ou tout autre art, tout en évoluant comme toute chose vivante, soient sauvés en tant que culture humaniste (Oulah, de grands mots aujourd’hui !). Dans ce sens, ce texte évoque des choses encore intéressantes pour aujourd’hui :
Et que va-t-il se passer avec la toile, le web, le réseau, les sites ? ! Nouvelles aventures du trans-fini ; récentes étapes : l’ordinateur pour écrivain, avec « l’imprimante ». Et le net. La « production textuelle » a pris un sens technologique qui n’était pas celui de l’expression dans les années 60-70. « Traitement de texte ». Hypertextuel. La souris accouche de montagnes. Montagnes de papier via l’imprimante. Qu’est le brouillon devenu ? Et la variante ? Balancée sur un « site », l’œuvre, ou fragment d’œuvre, citation à la fois réelle (écrite) et virtuelle, trace, et trace de traces de traces, dans les limbes durs du disque, la « littérature », et multipliée « en ligne » par des centaines de milliers d’« auteurs » devenus internautes, s’exponentialise, c’est le cas de le dire.
Sans raison sérieuse – ni futile – d’être anamnésiée, fonds sans fond d’une mémoire infinie qui ne « remontera » pas. La bibliothèque est en puces.
Est-ce cela qu’on appela naguère « immatérialité » – celle des « immatériaux » : matière, certes, mais sans gravité, antimatière d’anti-papier, masse « noire » plus considérable (?) que la bonne vieille matière ? Qui – heureusement – ne se changera pas en « papier ».
Pour moi n’existe « vraiment » que le palpable papier. Si j’étais un écrivain futur, de ceux qui n’auront jamais publié de livres-papier, mais balancé des phrases sur le web, me considérerais-je comme un écrivain ?
Je ne crois pas.
Le livre n’était pas un « support ». Le lisible du lisible sera toujours en quelque manière ce que vous ne verrez pas sur vos écrans.
Octobre 2000
« Du carnet à l’archive », Michel Deguy