La littérature jeunesse ne cesse d’être traversée par des polémiques qui finissent toujours, en un ultime dérapage, par interroger sa propre qualité ainsi que sa propre légitimité, un peu comme on se tirerait une balle dans le pied. Le dernier débat en date concerne L’école des loisirs. Pour ceux qui n’ont pas suivi, l’éditrice Geneviève Brisac a vu son pouvoir de décision réduit, et des ouvrages qu’elle avait programmés ont été déprogrammés. On ne peut que s’attrister et déplorer qu’un pan de littérature forcément de qualité – puisqu’il avait été approuvé par une très bonne éditrice – soit soudain escamoté. Cela questionne forcément. On en cherche les raisons et les causes puis les conséquences. Des déclarations fracassantes ont été exhumées. L’école des loisirs ne chercherait désormais que « des héros positifs » porteurs de valeurs positives. On n’aurait plus le droit aux héros subtils, peu manichéens, pleins de failles et qui sonnent juste ? J’ai beaucoup de mal à le croire, personnellement, au sein d’une maison d’édition qui a toujours cru à la littérature – cela me paraît peu contestable. Certains sont allés encore plus loin, sous-entendant que les romans écartés avaient tous comme point commun d’évoluer dans des milieux dits minoritaires : homosexuels ou avec des héros à la peau noire, ou que sais-je encore ? Là, l’accusation est encore plus grave, et fut heureusement vite balayée par un billet de Marie-Aude Murail qui a rappelé la diversité qui prévaut dans son dernier roman publié à L’école des loisirs, Sauveur et fils.

Bon, tout cela ne tient pas, il ne reste donc plus que la seule raison valable : ont été écartés les romans soupçonnés de se vendre peu. Cette fois on touche au coeur du débat qui peut générer des passions. Le vrai problème est celui du chiffre et de la tension dans laquelle vit toute la chaîne du livre. En tant qu’auteure, je l’avoue, je préfère aussi publier un roman qui va bien se vendre qu’un roman qui ne va pas du tout se vendre. Pourquoi ? Non seulement parce que je vis de mon écriture mais aussi parce que mon réel souci est de toucher mon lectorat et que j’ai le temps pour réfléchir comment m’y prendre de la meilleure façon (sérieusement, écrit-on pour ne pas être lu ou très peu ?). Cela signifie-il que, depuis que j’ai ce souci, je sacrifie la qualité de mes textes ? Je ne le crois pas. Voire même au contraire. J’ai eu la chance au début de ma carrière de voir deux de mes textes publiés chez Gallimard Jeunesse, l’un dans la collection Folio Junior, l’autre dans la collection Scripto. On ne peut pas accuser Gallimard Jeunesse de publier de la mauvaise littérature (et d’ailleurs personne ne s’y risque), pourtant ces deux romans ont peu attiré les jeunes gens. Ils n’ont pas bénéficié d’un succès phénoménal, loin de là, cependant j’ai eu des retours de lecteurs très touchants, à leur propos. Je suis heureuse que ces textes existent, ils m’ont permis de débuter, ils participent à la diversité de la littérature jeunesse, c’est de la bonne littérature (en toute modestie !) mais… cela ne m’a pas empêchée de m’interroger sur leur peu d’audience, et d’en tirer certaines leçons. Je continuerai à en écrire de semblables, id est avec la même sincérité, mais avec l’expérience de cette remise en question. Et c’est dans ce même élan mais avec davantage le désir de plaire (scandale !) que j’ai écrit mes autres romans qui ont mieux rencontré leur public. Pourquoi et comment plaisent-ils davantage ? Peut-être parce que j’ai choisi un angle ou un genre qui donne plus de relief à mon écriture. Peut-être parce que j’ai davantage fait preuve d’audace et de créativité. Peut-être parce que je me suis détachée d’une tradition franco-française de récit de vie psychologique pur et très intérieur, qui, actuellement, attire moins les adolescents. Peut-être parce que, tout simplement, la mode a changé et que j’en épouse les contours de façon très inconsciente. Peut-être parce que je lis énormément de romans pour la jeunesse et que je reste connectée à l’air du temps. Les romans qui « collent » à la mode actuelle et qui plaisent aux jeunes gens en masse sont-ils condamnables ? Sont-ils, parce qu’ils plaisent beaucoup aux jeunes, susceptibles d’être mauvais et uniquement commerciaux ?

Cette accusation à peine larvée qui fut faite par certains, choqués par la nouvelle direction prise par L’école des loisirs, est tout aussi choquante, et très méprisante pour les auteurs publiés ailleurs, mais aussi pour leur lectorat. Certaines déclarations laissaient entendre que seule L’école des loisirs publiait jusque-là de la vraie et bonne littérature. Tous les autres ne publieraient que du « commercial » ? Cela plait aux jeunes gens donc c’est mauvais ? Et vous prétendez respecter la jeunesse en écrivant pour eux de vrais bons livres ? Allons, un peu de cohérence.

Je vous soutiens, vous tous qui luttez pour la diversité en littérature jeunesse. Je déplore tout comme vous que soient écartés des romans suspectés de peu se vendre. C’est triste et alarmant. Il faut rester vigilants. Mais étrangement ces romans qui ne se vendent pas ou peu ne sont jamais, mais réellement jamais, suspectés d’être mauvais (et pourtant il y en a forcément). Contrairement à ceux qui se vendent bien.  Ah l’élitisme français ! Pardon, mais on ne peut pas hurler « c’est terrible, les jeunes ne lisent plus ! » si dans le même temps on méprise ce qu’ils lisent vraiment et ce qui leur plaît beaucoup. Car oui, les jeunes lisent. En masse. Il suffit de dénicher les chiffres de vente de Harry Potter, Hunger games, Nos étoiles contraires, La passe-miroir, Tobie Lolness, etc (tous des romans excellents de mon point de vue – même si je n’ai pas encore lu La passe-miroir). Certes, il faut qu’existent aussi des romans plus confidentiels, je suis entièrement d’accord. Mais restons unis, et ne méprisons pas les uns parce qu’ils vendent peu et les autres parce qu’ils vendent beaucoup (d’autant plus que nous vivons dans un pays où les prescripteurs font un boulot phénoménal, permettant de faire vivre très honorablement des romans vers lesquels les jeunes n’iraient pas tout seuls). La diversité ne peut pas aller que dans un sens (sinon elle ne s’appelle plus comme ça).

Finalement le seul problème de certains, ce n’est pas que les jeunes ne lisent plus, c’est qu’ils ne lisent plus ce que nous adultes nous aimerions qu’ils lisent (ah mais enfin, comment ça t’as pas aimé Le Grand Meaulnes/Croc-Blanc/tout Balzac et tout Flaubert/le dernier bouquin de L’école des loisirs ???).

Eh oui, la jeunesse n’a jamais été prévisible.

 

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4 Commentaires
  • ceci étant, j’aime beaucoup Marie-Aude Murail, et son dernier roman, mais ce n’est pas un roman pour ados …

    • FH
      31 mai 2016

      Je ne l’ai pas encore lu mais il m’a semblé que tous les patients de Sauveur étant enfants ou ados, cela ne pouvait que les intéresser diablement, non ? Pourquoi considérez-vous que ce roman n’est pas pour les ados ?

  • Bailly, Nathalie
    31 mai 2016

    Tout mon travail avec les lecteurs adolescents oeuvre dans ce sens, Madame Hinckel! Merci beaucoup pour ce billet et cette mise au point objective et remarquable !

    • FH
      31 mai 2016

      Merci à vous pour votre travail !