Il y a peut-être le problème de l’immédiateté. Ne pas opposer à l’esprit d’escalier. Ne pas confondre avec la vitesse, cette belle intensité.
Peut-être davantage une histoire de proximité, dans ce rapport aux mots et à la parole. Si l’on a un rapport immédiat avec les mots, très immédiat, ce rapport devient fossé dans la façon de communiquer sa pensée. C’est que cette pensée, dans ces conditions, ne peut pas être immédiate. Seules les sensations le sont. Si l’on pense toujours par la tranche… cela empêche d’émettre un avis tranché. Et on est vite heurté par ceux qui le font. Qui ont un rapport plus immédiat avec leur pensée. On se rend aussi très vite compte que la communication virtuelle est impossible, à moins de prendre son temps et son espace. On fuit donc les échanges sur réseaux sociaux, les forums, tout ce qui ne prend pas ce temps, qui ne respecte pas l’espace de pensée, et qui jamais ne peut la soupçonner de hauteur. Sans pensée immédiate, on ne peut pas communiquer ainsi, on en souffre un peu, disons qu’on en est blessé.
On court vite le risque de n’être pas compris, quoi qu’il en soit. Au sein d’une communication verbale, on perçoit rapidement que la majorité des gens pensent que l’on ne parle que pour soi-même. Dans cette immédiateté avec soi. On ne deviendra proche que de ceux qui comprennent où on est et peut-être davantage où on n’est pas. C’est un grand bonheur, comme une communion, d’écouter certaines personnes parler de soi – de ce qu’ils vivent, plutôt – du monde, et ensuite leur livrer notre vision de ce monde à son tour.
Écrire pour la jeunesse devient une gageure. Il y a les éditeurs qui pensent qu’il faut parler aux enfants ou aux ados avec une pensée simple – immédiate, sans pour autant écrire des histoires simples, saisissez la différence. Derrière cela, ce parti pris : c’est ainsi que penseraient les ados, avec immédiateté. Et il y a ceux qui pensent qu’il faut leur parler avec une pensée-mille-feuilles, et peut-être même avec des histoires simples. L’immédiateté serait ailleurs, dans le rapport des jeunes aux émotions. Les mots ne sont pas plus compliqués, les phrases non plus, et peut-être au contraire. On aura compris ce que je préfère, mais il existe autant d’ados ou d’enfants que d’adultes, autant de rapports au monde et on peut donc louvoyer dans ces lieux-là (au sein de ces différentes maisons d’édition), sachant bien ce que l’on fait, et surtout pourquoi. La pensée doit toujours être claire, cependant, claire et dansante, même si elle prend son temps et qu’elle s’étire doucement. L’important est qu’elle soit juste, sans le désir d’avoir raison. Mais le bonheur est là, dans cet espace que l’on se donne et ce contrat de respect que l’on choisit, envers ceux à qui l’on s’adresse. La liberté, en somme.
C’est dimanche et le ciel est chargé.
On commence la journée avec cette satisfaction un peu bête de savoir ce que l’on va continuer.
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« Montrer en dissimulant, briser et faire trembler la ligne directe, tracer, en musant, les détours de la promenade et les pattes de mouche de l’esprit rêveur, voilà ce qu’aime Zao Wou-Ki et, tout à coup, avec le même air de fête qui anime campagnes et villages chinois, le tableau apparaît, frémissant joyeusement et un peu drôle dans un verger de signes ». Henri Michaux
L’oeil ne peut murir plus haut que la tige
tout se détache dans la brisure
le jeune roseau a dissipé le bleu des eaux
la vie bourgeonne entre les blancs
le vent souffle dans la fracture
tout se détache dans la brisure
l’oeil est collé à ces frêles cassures
ces vertes ramifications qui nous enfoncent
dans un monde où tout se détache
fracture contre fracture
Pascale M.
1 octobre 2013Très belle réflexion: dans son rapport au monde, aux mots, chacun est différent. Je suis de ceux qui déplorent être plus dans l’immédiateté, voire dans l’impatience de la pensée, que dans le lent creusement, et c’est sans doute pour cela que j’apprécie tout particulièrement le déroulement contemplatif de la tienne ! Bises.
florence
1 octobre 2013Ne le déplore pas, c’est un atout. Et je trouve que tes bouquins ont une pensée bien creusée, qui se déroule bien (la sylphide attend d’ailleurs sur ma table de nuit !). Bises !
Doinet
30 septembre 2013Coucou Florence, je viens souvent sur la pointe des pieds lire beau et voir ressourçant chez toi ! En ce petit matin, je me demandais si d’où il est maintenant Zao Wou-Ki peint les étoiles…Bises et à bientôt à Brive 🙂
florence
30 septembre 2013Merci chère Mymi. Oui c’est bon de rêver qu’il peint le ciel, belle idée… A très bientôt !