« La Viste » signifie « la vue » en provençal, et c’est vrai que la vue est belle sur les montagnes pagnolesques quoique trop bétonnées. Mais pour moi ce fut une vue sur le bout du bout du monde, celui où le sentiment d’abandon se lit dans les regards farouches ou résignés. Où la vie dure marque les visages et les postures. Où les détritus et graffitis masquent ou révèlent la misère… suivant le point de vue. J’avais fini par presque oublier ce bout du bout du monde marseillais (30 min de TER, 30 min de métro – jusqu’au bout du bout de la ligne -, 30 min de bus), confinée dans ma bulle. C’est l’effet pervers de cette crise sanitaire qui est surtout celle de la mobilité et de l’éloignement de soi, de chez-soi, de en-soi : on finit par ne plus voir que son nombril.

Rencontrer ces élèves de 4e, qui plus est pour parler de *Renversante*, a remis le monde en perspective. La vision est plus globale, plus juste, moins confortable, mais aussi plus aérée (car oui, la vue était belle, malgré tout, et très attachante).

Une vue en friche. Une vue masquée. Quand un gamin est venu me voir à la fin de la rencontre pour dire qu’il adorait lire, je lui ai dit qu’il pouvait s’approvisionner en médiathèque où c’est gratuit. La prof a répondu : « ici il n’y en a pas. Il faut faire beaucoup de trajet pour en trouver une ». Il faut dire aussi la pauvreté du CDI : si peu de rayons, si peu de romans… Abandon (facile, après, de stigmatiser, n’est-ce pas ?) Le gamin m’a expliqué qu’il se débrouillait en dénichant des livres sur Internet, qu’il lisait les romans sur le tout petit écran de son téléphone. Des PDF, beaucoup. Je ne lui ai évidemment pas fait de morale sur le piratage.

Mais cet abandon. Cette inégalité des chances. Qui n’est pas visible sur zoom, sur son canapé, dans sa maison. Rencontrer des élèves à distance, sans voir où ils vivent, sans sentir et ressentir leur environnement, c’est absurde. Ce que nous font ces confinements ou ces couvre-feux, c’est nous éloigner de ces tiers lieux. C’est abandonner encore davantage ces gamins en soif de culture. Cette parenthèse de mobilité, peut-être avant un nouveau confinement, je la vis comme une chance, pour que la vue de ces gamins s’élargisse en même temps que la mienne, pendant ces vraies rencontres.

(Encore merci aux enseignant·es qui permettent cela).

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