Rencontres scolaires autour de Renversante, en collège, épisode 3562.

Désormais, quand je vois des garçons mutiques, bras croisés, jambes écartées, regard fermé, affalés sur leur chaise, me vient une furieuse envie de les titiller 😉
C’était en classe de 3e, où plusieurs garçons ont l’option foot, ça aura une importance par la suite (on notera que la section foot n’est pas ouverte aux filles).
Je pose la question :
– Qui pense que ce n’est pas très important de lutter contre le sexisme dans notre société ?
Une dizaine de garçons lève la main (et 2 filles. Okaaaaay, y’a du boulot dans cette classe).
– Et maintenant, qui pense que ce n’est pas très important de lutter contre le racisme dans notre société ?
Une seule main levée, le nihiliste de la classe, c’est triste mais admettons.
– Parmi celles et ceux qui ont levé la main à la première question et pas à la deuxième : pourquoi ?
– Bah parce que c’est pas pareil.
– En quoi ce n’est pas pareil ?
Intense réflexion.
– Parce qu’il y a des crimes racistes, alors que personne ne tue des femmes juste parce qu’elles sont des femmes.
Je leur apprends l’existence et la fréquence des féminicides, en France. Ils ont l’air de, sincèrement, tomber des nues. Quoi, des femmes sont tuées parce qu’elles sont des femmes ? Apparemment, personne ne le leur avait jamais dit.
Faille number one : défaut d’information.
Bon, ne minimisons pas non plus la mauvaise foi. Je rencontre des champions dans certaines classes. Ceux-là, je leur laisse encore le bénéfice du doute. Ils ont l’air perplexes, quand même. Le racisme leur semble toujours plus grave que le sexisme, ils cherchent des raisons à cette impression si puissante qu’elle doit bien refléter une réalité.
– Ouais mais y’a des gens qui se suicident à cause du racisme. Personne ne se suicide à cause du sexisme.
– Tu as des chiffres pour prouver ce que tu dis ?
– Ben non mais tout le monde le sait.
– Je n’ai pas non plus de chiffres à portée de main, mais je sais que malheureusement beaucoup de gens se suicident parce qu’ils ne correspondent pas au modèle ultra-sexiste valorisé dans notre société, notamment les personnes qui ne sont pas hétérosexuelles.
– Ouais mais c’est pas pareil !
– Mais pourquoi vous me répétez que c’est pas pareil ?
– Bah parce que, c’est évident !
A court d’arguments, ils balancent les bras et s’avachissent encore plus sur leur siège. L’un d’eux décide qu’il est temps de changer de sujet.
– Mais y’a quand même des différences entre les hommes et les femmes, faut l’accepter, par exemple les femmes jouent beaucoup moins bien au foot, c’est comme ça.
Voilà un sujet qu’ils pensent maîtriser. Ils s’animent. (On notera que les filles ne se sont pas encore exprimées, comme s’il était tout à fait normal que seuls les garçons de cette classe aient le droit de s’exprimer sur le sexisme).
– Ah oui alors ça vous pouvez pas dire le contraire ! rénchérit l’un d’eux, sûr qu’ils tiennent là leur revanche rhétorique.
Je comprends qu’en effet je ne pourrai pas leur dire le contraire, d’autant qu’en toute honnêteté je n’y connais rien en foot. Soyons maline.
– Bien sûr que les hommes et les femmes sont différents, je réponds. La masse musculaire des hommes est de 7% supérieure, en moyenne. C’est pour ça qu’il n’y a pas de football mixte. Et je veux bien vous croire quand vous dites qu’à un niveau professionnel le jeu féminin est moins bon. Vous vous y connaissez mieux que moi donc je ne peux que vous croire. Mais est-ce juste une question de muscles ? Le foot, c’est un jeu de bourrin ?
Hauts cris, non, c’est un sport noble, faut faire preuve de stratégie, etc…
– Alors d’après vous, pourquoi ce serait moins bon quand ce sont des joueuses professionnelles ?
Ils se creusent la tête. Ils sentent bien quand même qu’ils ne peuvent pas dire que c’est parce que les femmes sont moins intelligentes, ils ne le pensent certainement pas, d’ailleurs. En revanche ce qui est sûr, c’est qu’ils pensent que les hommes naissent avec le gène du foot, et pas les filles. Ou bien il y a une zone du cerveau spécifique dédiée à ça. J’ai hâte que la recherche nous découvre ça.


– C’est comme ça, c’est tout ! La preuve c’est que dans tel match….
– Je ne veux pas de preuve, je te crois. J’aimerais qu’on réponde à : pourquoi est-ce moins bon ? Il y a forcément une raison.
Ils répondent à côté encore au moins 5 fois jusqu’à ce qu’une fille (ENFIN) ose dire :
– C’est parce qu’elles s’entraînent moins ?
Alleluiah. A partir de là, on a pu essayer de comprendre ce qui se passait. L’auto-censure, le manque de modèles, le défaut de médiatisation, les clubs féminins beaucoup moins subventionnés, les joueuses beaucoup moins bien payées, le temps en moins qu’elles peuvent donc passer à jouer, etc… (+ les sections foot de collège qui n’admettent que des garçons… mais je n’ai pas mis ça sur le tapis, de peur qu’ils se replient sur leur vécu personnel…)
Malgré toutes ces explications, ils n’arrivaient pas à admettre que ce jeu moins bon avait une raison rationnellement explicable par une inégalité de traitement flagrante, et par une inégalité des chances scandaleuse. Festival de contestations voire de contre-vérités :
– Oui mais une fille talentueuse, elle peut être repérée par un entraîneur aussi bien qu’un garçon !
– Oui mais moi j’ai vu à Trifouilly les oies des femmes pros jouer avec le même équipement que les hommes, c’est bien qu’elles ont les mêmes chances !
– Oui mais moi j’ai discuté avec des femmes pros, elles m’ont dit qu’elles étaient super bien payées !
Ils étaient réellement scandalisés que j’aie pu émettre la supposition que, peut-être, ils n’étaient pas des surhumains qui jouaient super bien au foot juste pour la seule raison qu’ils étaient des garçons.
J’essaie de changer d’angle. Je leur montre l’illustration de Clothilde Delacroix avec les pom-pom boys.


– Bien. Maintenant dites-moi pourquoi, à votre avis, on ne voit jamais de pom-pom boys dans les films américains, qui supporteraient des matchs de foot féminin ?
Déconcertation totale, pour commencer. Pourquoi subitement je parle de ça ? Puis réponses : parce que ce serait ridicule, parce que les hommes ça ne danse pas (?), parce que les hommes ça ne porte pas de tenue sexy (ah mince), parce qu’on n’a pas l’habitude, etc… C’est suite à une série de questions-forage-du-roc-le-plus-dur que j’ai réussi à les amener à l’idée que, peut-être, ce serait parce qu’on apprend aux femmes à soutenir et supporter les hommes, et qu’on instille l’idée aux hommes que soutenir ou supporter ou admirer des femmes serait une idée tout à fait ridicule.
Consternation. Incrédulité. Je propose une conclusion.
– C’est peut-être aussi pour ça que vous avez tant de motivation à devenir des pros du foot, et que les filles en ont beaucoup moins ? Or on sait que dans le sport, la motivation, c’est très important.
La sonnerie retentit. Comme toujours dans ces cas-là, les filles viennent alors seulement me parler, quand la horde dominante de garçons est sortie. Un garçon reste cependant, très courtois mais très désireux de me faire changer d’opinion sur les raisons pour lesquelles le jeu de foot des joueuses professionnelles serait aussi nul d’après lui – décidément j’ai touché un point sensible. Je suis un peu fatiguée donc je lui dis gentiment que j’ai un train à prendre.

Voilà donc une bien jolie rencontre avec une classe où l’on a fait croire à un petit groupe de garçons qu’ils étaient des demi-dieux, à l’image de ce que l’on fait des joueurs de foot les plus médiatisés.
Quand se rendra-t-on enfin compte qu’il faudrait porter aux nues autant de femmes que d’hommes, sportifs ou autres, si vraiment on a besoin de porter des personnes aux nues ?

En général, après ce genre de rencontres, je retrouve les profs effondrées de découvrir ce que pensent leurs élèves. La seule chose de positif qu’arrive à dire l’une d’entre elles, cette fois, c’est : « heureusement qu’au programme de français on travaille sur l’argumentation »…

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