Peut-être faut-il y réfléchir… Heureusement, de gros progrès ont été faits et ce que je vais montrer là sont des photos souvent anciennes, évidemment choisies pour ma démonstration, mais ces photographies ont été si faciles à trouver et sont si nombreuses qu’elles ne me semblent pas là comme illustrations anecdotiques mais bien comme propos général à interroger. D’autre part on se rend compte combien ces images sont si prégnantes en nous qu’on a tendance, hommes ou femmes écrivains contemporains, à les reproduire inconsciemment. Cela peut être bien de prendre conscience de tout cela pour casser les codes, ou bien pour jouer sciemment avec eux…
Observons d’abord ces photographies d’hommes écrivains au travail :
Notez leur sérieux, leur air pénétré. La posture désinvolte est autorisée (Stephen King, Faulkner), seulement si l’on voit bien à quel point l’écrivain est concentré. Notons l’effet de vitesse (Brendan Behan), et la nécessité de tenir l’endurance grâce à la nicotine (Bouvier), ou le café (Brendan Behan, encore)… à moins que ce ne soit du whisky ?
Si ces auteurs hommes bénéficient d’emblée d’un sérieux appréciable, ils manquent singulièrement de capital sympathie. Ils ont l’air quand même vraiment pas commodes, bougons, hautains et peu accessibles.
Qu’en est-il des femmes ?
Elles ont presque toutes un air sage voire compassé. J’entends presque à chaque fois le photographe (ou le portraitiste comme ci-dessus) dire ou penser : regardez-moi (qu’on voie votre doux visage). Vous ne voulez pas ? Bon alors au moins un sourire ? Il faut qu’on voie à quel point vous êtes sympathique – malgré le choix de cette activité si sérieuse que vous vous imposez sans raison. Il faut qu’on voie que vous prenez du plaisir à écrire ! A quel point les romans que vous écrivez, vous les femmes, ne sont sans doute pas aussi profonds et difficiles que ceux des hommes...
(Certes certes, mais tout de même, c’est agréable de voir enfin un sourire, merci Mme Morrison !)
Enfin de la vitesse dans les mains sur cette photo… Mais pourquoi a-t-on l’impression qu’Anne Sexton recopie au lieu de créer ?
Une femme devant un clavier souffre de toute façon toujours des stéréotypes. Comment ne pas voir de simples secrétaires, le plus souvent ? Comment les prendre au sérieux avec leurs coiffures compliquées, leurs bijoux ou leur mise endimanchée ? Quel temps perdu, quand les hommes semblent souvent s’être mis au travail dès le saut du lit, voire encore dans leur lit (voir plus bas)…
Lorsqu’on leur autorise une pose moins académique, le manque de naturel est confondant :
Il n’est pas interdit de noter que les écrivaines sont souvent en équilibre instable, jambes croisées ou alors bien serrées, comme prêtes à s’évaporer ou au contraire à se recroqueviller, alors que les écrivains sont toujours bien campés sur leurs deux pieds, arrimés au sol et à ses réalités, tout en étant prêts à bondir à la moindre alerte.
Parlons félins, justement. Prêts à bondir, certes, mais si Céline, Capote, ou Jean Cocteau ne répugnaient pas d’être pris en photo avec leur chat, c’était surtout pour montrer à quel point sa propension à la paresse les empêchait de travailler :
… alors que si on montre un chat sur la photo d’une femme écrivain (plutôt qu’un chien comme Stephen King), c’est sans doute pour contrebalancer par son aspect mignon l’usage subversif de la cigarette, par exemple :
Par ailleurs, souvent, on ne manque pas d’associer la langueur féline à la langueur supposée de l’écriture féminine. Les poses allongées chez les femmes écrivains sont courantes. Alors que les hommes écrivains sont plus souvent représentés en train d’écrire debout (Victor Hugo, Roth…). On ne voit jamais de femme écrivant debout, bizarrement. Une question de dynamisme sans doute. Hum.
Seulement attention, écrivaines allongées, certes, mais pas dans un lit ! Nabokov, lui, il a le droit… De toute façon, il a même eu le droit d’écrire Lolita, alors (un chef d’oeuvre incontestable, mais une histoire similaire écrite par une femme aurait été impensable à la même époque… aujourd’hui non plus quand j’y pense…).
Seules Bridget Jones ou Carry Bradshaw sont montrées en train d’écrire dans leur lit, mais ce sont des personnages fictifs plus diaristes ou journalistes qu’écrivaines, et qui écrivent exclusivement sur leurs frasques sexuelles… Aurait-on peur d’un brouillage de symboles en représentant une vraie femme vraiment écrivaine en train d’écrire dans son lit ?
Pas de draps en désordre. Non, mieux vaut représenter l’écrivaine sur le sol. Et tant pis si ça a l’air peu naturel, encore une fois. Essayez donc de taper sur un clavier allongé(e) sur le ventre ! Tendinite ou torticolis assurés en moins de dix minutes.
Le canapé, sinon, c’est une valeur sûre, plus naturelle et moins compromettante.
Il y a des contre-exemples, oui, et notoires. Des femmes écrivaines qui sans doute ont osé dire au photographe : non je n’ai pas envie d’avoir un air artificiel sur cette photo. Non, je ne souris jamais quand je travaille. Ou alors furtivement, de satisfaction après avoir cherché pendant trois jours la bonne formulation. Ou si j’écris un passage humoristique, peut-être. Et je ne regarde jamais un objectif, non plus. Et d’ailleurs, je peux fumer sans chat. Notons que les femmes qui ont osé cela sont celles qui ont déjà réussi à accéder à la notoriété au moment de la photo. Elles ont acquis la chance de n’avoir plus à convaincre, plus à plaire, plus à veiller de ne pas déranger. Une chance acquise au fil des ans, de leur travail, de haute lutte. Une chance acquise d’emblée à tous leurs confrères, aussi jeunes soient-ils.
Bon, du coup, elles ont l’air aussi peu amènes que leurs confrères, certes…
Mais on n’a rien sans rien.
(Bien sûr ces constatations ne s’appliquent pas aux auteurs de littérature jeunesse qui, hommes ou femmes, ne bénéficiant que d’un assez faible capital sérieux de départ, misent pas mal sur leur capital sympathie… comme pendant longtemps et encore pas mal aujourd’hui les femmes en littérature générale. Cependant, voyons le bon côté des choses, comme ils ne sont pas accusés de langueur, ils ont souvent peu à s’allonger sur les photos).
Laure
26 juillet 2017Très bonnes observations. Remarque, je suis toute prête à venir te tirer le portrait avec chat, désordre des draps, bazar et très véritable concentration. Bravo en tout cas: bien dit comme à chaque fois que ça bouillonne à l’intérieur.
FH
26 juillet 2017Ah ben voilà, la prochaine fois que tu viens, hop séance photos 🙂
Cécile
26 juillet 2017Excellent billet.
FH
26 juillet 2017Merci !