Cette année j’ai participé à colloques ou groupes de réflexion sur l’égalité garçons-filles en lien étroit avec l’Education Nationale. C’est foisonnant d’idées pour que l’environnement des enfants et des ados soit moins inégalitaire. Des idées géniales dans le domaine du jouet, du jeu vidéo, des programmes audiovisuels, de l’enseignement, de l’espace scolaire. L’art et donc la littérature jeunesse sont un peu à part puisque cela doit rester de l’art – et de la littérature. Evidemment aucune censure d’aucune sorte n’est à envisager (personne n’a jamais proposé cela dans les réunions auxquelles j’ai assisté, au cas où cela inquiéterait certain·es), mais des propositions de formation des enseignants ou même des parents semblent intéressantes. J’émets toujours, aussi, l’idée d’oeuvrer afin de renforcer la protection du statut des artistes-auteurs et autrices, ce qui permettrait une plus grande diversité des profils (une femme seule, qui travaille, avec enfants, par exemple, aurait bien du mal à dégager du temps pour écrire, puisque c’est actuellement un temps non rémunéré, si talentueuse qu’elle soit, et cela nous prive de voix importantes).
Bref, c’est passionnant et plein d’énergie et de volontés fortes, et je suis certaine que cela permet d’aller dans le bon sens.
Mais je suis, à chaque fois, très, très surprise que jamais le mot « féminisme » ne soit prononcé dans ces lieux de réflexion intense sur l’égalité garçon-fille. Lorsque je fais part de cette surprise aux organisateurs, souvent organisatrices, on me répond que le mot « fait encore trop peur » à certain·es intervenant·es (en grosse majorité des femmes, puisqu’il s’agit d’éducation et de jeunesse, domaines encore très féminins). Au fil de la discussion, je finis par comprendre que pour elles et eux, ce n’est pas le même sujet. Comme si l’objectif du féminisme, de tous les féminismes, ce n’était pas, précisément, d’atteindre l’égalité hommes-femmes… « Féminisme » est un gros mot. Je suis encore dans la stupeur de cette interprétation toute éducationnationalesque : regardez toutes leurs publications sur le sujet, vous n’y trouverez à aucun moment le mot féminisme. C’est comme si le sujet de l’égalité garçon-fille leur était venu tout seul, sans qu’auparavant des féministes aient milité ardemment pour que cette spécificité du terme « égalité » de notre devise républicaine soit enfin considérée et prise au sérieux. On pourrait s’en réjouir, c’est bien, après tout, que cela soit désormais une évidence déconnectée de tout courant politique. Mais le souci est qu’il est déconnecté, justement, d’un projet global de société.
Sans le socle théorique, sans la littérature, sans les concepts philosophiques issus du féminisme, sans la connaissance des combats sociétaux du féminisme d’aujourd’hui, toute action sur l’environnement de l’enfance et de l’adolescence reste très limitée.
Car les enfants et les adolescents font, eux, très bien le lien entre égalité garçon-fille et féminisme. Lorsque je suis invitée pour parler de Renversante, les sujets féministes débarquent à tout coup, et cela vient d’eux. Il n’y a bien que les adultes pour réussir à parler d’égalité H/F sans parler de féminisme !
Ce faisant, un souci émerge, de plus en plus prégnant : ces enfants et adolescents sont de plus en plus imprégnés de mauvaise représentation sur le féminisme. Le féminisme-bashing a atteint des sommets dernièrement dans les médias et les réseaux sociaux, ce qui fait que je suis désormais parfois accueillie ainsi : « vous êtes féministe ? Pourquoi vous détestez les hommes ? Pourquoi vous les accusez tout le temps, etc… » Voilà la nature que prennent parfois mes rencontres autour de l’égalité garçon-fille. C’est parce que cela prend cette tournure qu’on ne peut pas faire l’économie de l’éducation au féminisme quand on veut éduquer à l’égalité garçon-fille.
Je propose désormais ceci dans ces lieux de réflexion : nos enfants et nos adolescents ont besoin que les livres d’histoire racontent l’histoire des femmes, et donc aussi du féminisme (c’est une proposition que j’ai lue aussi sous la plume de la toujours très pertinente Titiou Lecocq). Cela fait partie de notre histoire commune, et seul cet enseignement dépassionné et rigoureux permettrait enfin de faire avancer les choses.

Sans cela, tout est brouillé. Ce sont des projets sur l’égalité H/F monumentaux menés sur plusieurs semaines par des enseignants pleins d’énergie qui tombent par terre, simplement parce que tout l’environnement autour de nombreux gamins méprise le féminisme et véhicule sur le sujet des idées fausses et outrancières. L’Education Nationale a un rôle à jouer pour contrer le féminisme-bashing. Mais peut-être pour cela faudrait-il d’abord que les ministres qui en sont en charge lisent davantage d’ouvrages féministes, pour savoir réellement de quoi il s’agit ?…

PS : Désolée de fermer les commentaires sur ce post. Je suis sûre que des tas de réflexions intéressantes émergeraient mais je n’ai aucune envie de répondre aux autres moins intéressantes 😇.

En photos Louise Weiss et bell hooks, décédée hier

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