J’ai lu coup sur coup deux livres d’auteurs sportifs, que j’imaginais rafraichissants puisque l’idée plus ou moins revendiquée est de tordre le cou à l’image de l’auteur maudit se tuant à la tâche en se bousillant la santé à la lueur d’une bougie mourante et dans le froid d’une mansarde infestée de rats et/ou de cafards.

D’abord John Irving avec un bouquin dont le titre ne reflète que très peu le contenu (une seule anecdote s’y réfère), mais qui finalement me plaît bien. Il illustre peut-être mieux le discours qu’un titre plus parlant :

A l’origine Irving était un lutteur devenu professionnel mais pas assez doué pour faire une carrière prometteuse. Il s’est reconverti dans la carrière d’entraîneur (parallèle à un poste de professeur d’écriture) notamment pour entraîner ses deux fils. Même son succès d’écrivain n’a jamais pu lui faire abandonner cette passion première, au point que son bureau d’écriture, chez lui, côtoie une salle de lutte, et ce qui jonche les murs de sa maison ne sont pas des photos d’intellectuels, mais des photos de matchs de lutte, le plus souvent pris par sa femme. Malgré d’assez longs passages sur la lutte elle-même qui m’ont un peu ennuyée, j’ai été assez séduite par cette autobiographie très humaine et honnête, où l’on apprend aussi (disons, surtout, car c’est ce qui m’intéressait le plus) comment Irving a progressé dans son écriture grâce à des rencontres décisives – dans un monde complètement déconnecté de celui de la lutte.

Notamment la rencontre avec Kurt Vonnegut professeur d’atelier d’écriture, qui, dit-il, lui fit gagner du temps :

C’est aux erreurs techniques que je pense ici, l’ennui qui s’installe dans un texte, les problèmes de point de vue, les avantages comparés d’une narration à la première ou à la troisième personne, la maladresse de glisser l’exposition dans du dialogue, le handicap moteur que peut constituer l’usage du présent, les risques de briser l’élan du récit en y introduisant des passages expérimentaux puérils et sans intérêt, etc…

Les ateliers d’écriture, d’après Irving, ne font en effet que gagner du temps à l’écrivain, mais c’est essentiel car ce temps est précieux puisque la vie est courte. Mais « apprend-on » à écrire un roman ? Question souvent posée. Non, comprend-on sous la plume d’Irving. Et on s’en doutait. Voici comment il explicite les choses :

Je suis tout à fait convaincu que la lutte m’a appris davantage que les ateliers d’écriture. Ecrire bien, c’est réécrire ; de même, bien lutter est affaire de récurrence ; on répète le même mouvement inlassablement, jusqu’à ce qu’il devienne une seconde nature. Je ne me suis jamais vu comme un écrivain-« né », pas plus que comme un athlète « naturel », ni même un bon athlète, d’ailleurs. En revanche, je sais réécrire. Je n’arrive jamais à ce que je veux du premier coup, je ne sais que réviser, encore et toujours.

Et puis j’ai été très amusée par l’histoire d’un de ses étudiants en atelier d’écriture, qui avait écrit une histoire parfaitement maîtrisée, mais du point de vue d’une fourchette. Comment faire comprendre ce qui ne va pas dans cette histoire ? Un autre étudiant vient au secours de Irving avec un argument massue : « Je suis désolé, mais cette histoire me bouleverserait peut-être si j’étais une fourchette ; seulement, hélas ! Je ne suis qu’un être humain. » Voilà qui me conforte dans l’idée d’abandonner complètement mon histoire du point de vue d’un téléphone portable, que j’ai laissée en suspens depuis un moment, peu convaincue en effet moi-même par la portée émotionnelle du concept !

Et enfin une phrase qu’il se redit sans cesse, autant en lutte qu’en écriture : « Tu n’es pas très doué, et alors ? Pas une raison pour abandonner. »

Sauf que je ne suis pas convaincue que John Irving ne soit pas très doué en écriture !

 

Le second livre est de Haruki Murakami, qui est d’ailleurs un traducteur de John Irving en japonais, à tel point que j’ai eu de forts soupçons de plagiat d’idées à certains moments, comme celle de ne pas être doué pour un truc et donc d’y travailler d’arrache-pied pour y arriver quand même, qu’il applique à l’écriture et au sport lui aussi tout pareil. En vérité, il a carrément pompé le concept du bouquin, avec un titre beaucoup plus explicite.

Pour tout avouer, je n’ai pas fini de le lire, et je crois que je ne vais pas le finir.

Je n’ai jamais lu de roman de Murakami et ce que j’ai lu de lui dans ce bouquin ne me donne pas envie de le faire. Le « pitch » serait : « un écrivain assis de longues heures a tendance à grossir et choisit de courir pour éviter cela ; ô surprise la discipline du sport rejoint la discipline de l’écriture ». Ah, vous vouliez une démystification de l’activité d’écrivain ? Bienvenue ! Mais ce qui chez Irving déborde de passion, obligé de concilier les contraintes d’une vie très remplie, acceptant tout ce qu’offre la vie et composant avec elle (avec intelligence et bonheur), sonne vide et creux chez Murakami, ai-je en tout cas trouvé. Le plus gros souci, enfin ce qui moi me soucie, c’est qu’à aucun moment il ne parle du lien qu’entretient l’écriture avec la vie. Il finit par choisir une vie extrêmement aride et austère, centrée sur une discipline de fer, autant pour la course que pour l’écriture. Plus rien d’autre ne remplit sa vie. Il n’a pas d’enfant. Il avait une femme, n’en a visiblement plus, et il n’est plus question de vie amoureuse, ni d’aucune rencontre d’aucune sorte (enfin jusqu’à la page 60 où je me suis arrêtée). Bref, c’est peut-être tout à fait personnel, mais je ne comprends pas bien ce choix de vie, qu’on nous vend comme « un traité de sagesse à la japonaise », mais sans aucune spiritualité ni hauteur d’âme. J’espère très fort pour lui qu’il aura le prix Nobel de littérature, sinon à quoi bon ?

C’est ainsi que j’ai inauguré ma nouvelle vie, toute simple et très réglée. Lever avant cinq heures du matin, coucher avant dix heures du soir. Les gens sont au meilleur d’eux-mêmes à différents moments de la journée, cela dépend. Moi, je suis du matin, sans conteste. A ces heures-là, mon énergie est concentrée au maximum, je peux terminer un travail important. Plus tard viennent les heures d’entraînement physique, les démarches ou les courses qui ne nécessitent pas beaucoup de concentration. Le soir, je ne travaille plus, je me détends. Je lis, j’écoute de la musique, je me relaxe et j’essaie de me coucher tôt. Telles sont les grandes lignes que j’ai suivies dès lors, le schéma auquel j’ai été fidèle jusqu’à aujourd’hui. Grâce à quoi, j’ai été capable de travailler efficacement ces vingt et quelques dernières années. Ce mode de vie, cependant, n’autorise guère les sorties nocturnes, et parfois les relations avec les autres s’en ressentent. Certains se fâchent. Ils ont beau vous inviter ici ou là, c’est toujours un refus qu’ils essuient.

Brrr… Personnellement, ça me glace.

 

Quand il veut faire poétique, ça donne ça :

Il a plu quelques instants pendant que je courais, mais c’était une averse rafraîchissante qui faisait du bien. Un épais nuage en provenance de l’océan s’est approché et s’est installé juste au-dessus de moi, il a lâché une douche tranquille, puis, comme s’il s’était soudain souvenu : « Ah ! C’est vrai ! J’ai des achats à faire ! » Il est parti précipitamment sans même se retourner. Ensuite le soleil impitoyable est réapparu pour griller la terre. Ici, la météo suit un schéma extrêmement simple : surtout ne pas y chercher quoi que ce soit d’abstrait ou d’ambigu, ou quelque trace de métaphore ou de symbole.

Il m’est venu une faim subite de subordonnées en cascades, et le désir urgent de lire des réflexions sur l’être et le non-être. Vu qu’il est quand même pressenti pour le Nobel (je plaisantais pas), je suppose que ses romans sont pourvus d’une plus forte densité.

 

Voilà, c’étaient mes incursions dans l’écriture-sport, une vision très américaine et une autre très pseudo-japonaise, dont je ressors… un peu fatiguée.

Et avec le désir très fort de relire le Balzac de Zweig pour me reconstituer (j’aime quand même vraiment pas mal les Allemands et les Français en mauvaise santé).

 

 

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