Aujourd’hui, c’est la journée internationale des droits des femmes, que beaucoup appellent journée de LA femme (qui est-elle cette femme ?), alors qu’on aimerait tout mettre au pluriel, le mot journée aussi. Ou bien le transformer en « siècle ». Le siècle international des droits des femmes, ça aurait de la gueule.

Hélas cette journée ne les met pas à l’honneur, au contraire j’ai toujours vraiment honte quand elle arrive, je trouve que c’est humiliant cette petite miette qu’on nous accorde une fois par an. On est obligées de ne pas la bouder car c’est l’occasion de se faire entendre plus que tous les autres jours de l’année. Humiliant, je vous dis. En outre ce n’est pas être « à l’honneur » que d’essayer de faire entendre inlassablement les inégalités qui rongent nos vies. Et en retour d’entendre encore et toujours bien des inepties, voire insultes, voire menaces de mort (cet article de Slate, en réaction au féminisme tout choupi du magazine Glamour, explique bien cette tendance réac ++).

Ca fait plusieurs années que les féministes parlent de ressac, à peu près au moins dix ans. Quand j’en parlais autour de moi,  d’autres femmes  me répondaient : « oh mais ça va, faut arrêter avec ça, on n’est pas si mal loties quand même, tu souffres, toi ? ». Aujourd’hui, le ressac a grossi, ne s’est pas arrêté, est devenu tsunami. Comment certaines femmes peuvent encore dire : « allez les filles, c’est pas en faisant la gueule qu’on va y arriver, gardez le sourire, soyez jolies, et tout va bien se passer » ? Quelles oeillères ces femmes se sont mises pour ne pas voir à quel point les inégalités se sont creusées ? Comment ne pas réaliser à quel point juste rester souriante, jolie et sans élever la voix ouvre un boulevard aux populistes ?  Voici ici les chiffres officiels, très éloquents (les femmes sont encore payées, en France, 26 % de moins que les hommes, par exemple…). Bien entendu, cela ne signifie pas qu’on n’a pas le droit d’être jolie et souriante, cela ne signifie pas que si on l’est, on n’est pas féministes. Cela signifie juste qu’on ne doit pas subir l’injonction de l’être, tout le temps.

Comment si soi-même on n’a pas l’impression de vraiment en souffrir (on se fait à tout après tout, tant qu’on s’en sort, et puis ça pourrait être bien pire, n’est-ce pas ?), comment ne pas au moins s’inquiéter pour nos filles ? (et nos garçons, n’oublions pas que les inégalités ne rendent heureux personne). Comment ne pas avoir envie de lutter pour la jeune génération ?

En cette journée internationale des droits des femmes, pour ne pas totalement mourir de honte et d’humiliation, je choisis de partager avec vous ces extraits de la préface extraordinaire de Virginie Descentes dans son non-moins extraordinaire essai : King Kong théorie. Attention, talent, et belle honnêteté (la même que Simone De Beauvoir en son temps) :

J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. Et je commence par là pour que les choses soient claires : je ne m’excuse de rien, je ne viens pas me plaindre. Je n’échangerais ma place contre aucune autre, parce qu’être Virginie Despentes me semble être une affaire plus intéressante à mener que n’importe quelle autre affaire.

Parce que l’idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par les chirurgiens de l’esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d’école, bonne maîtresse de maison mais pas bonniche traditionnelle, cultivée mais moins qu’un homme, cette femme blanche heureuse qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l’effort de ressembler, à part qu’elle a l’air de beaucoup s’emmerder pour pas grand-chose, de toutes façons je ne l’ai jamais croisée, nulle part. Je crois bien qu’elle n’existe pas.

C’est tout de même épatant, et pour le moins moderne, un dominant qui vient chialer que le dominé n’y met pas assez du sien… 

Il y a une fierté de domestique à devoir avancer entravées, comme si c’était utile, agréable, ou sexy. Il faut minorer sa puissance, jamais valorisée chez une femme : « compétente » veut encore dire « masculine ». C’est en fait un moyen de s’excuser, de rassurer les hommes. J’ai les moyens de vivre autre chose, mais je décide de vivre l’aliénation via les stratégies de séduction les plus efficaces. Les femmes adressent aux hommes un message rassurant : n’ayez pas peur de nous. Soyons libérées, mais pas trop. Nous voulons jouer le jeu, nous ne voulons pas des pouvoirs liés au phallus, nous ne voulons faire peur à personne. Les femmes se mettent en position de séductrices, réintégrant leur rôle, de façon d’autant plus ostentatoire qu’elles savent que, dans le fond, il ne s’agit plus que d’un simulacre. Depuis toujours, sortir de la cage a été accompagné de sanctions brutales.

C’est l’idée que notre indépendance est néfaste qui est incrustée en nous jusqu’à l’os.

La révolution féministe des années 1970 n’a donné lieu à aucune réorganisation concernant la garde des enfants.

Nous manquons d’assurance quant à notre légitimité à investir le politique.
Délaisser le terrain politique comme nous l’avons fait marque nos propres réticences à l’émancipation.
Il faut oublier d’être agréable, serviable, il faut s’autoriser à dominer l’autre, publiquement.

Les corps des femmes n’appartiennent aux hommes qu’en contrepartie de ce que les corps des hommes appartiennent à la production, en temps de paix, à l’État, en temps de guerre.
Car la virilité traditionnelle est une entreprise aussi mutilatrice que l’assignement à la féminité.

C’est sur cette note que j’ai envie de finir : chers amis masculins, le ressac-tsunami réac vous dessert aussi, il n’est agréable ni pour vous, ni pour nous.  Il nous écrase tous. C’est peut-être en ayant conscience de cela que l’on pourra avancer.

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