Comment réagir aux propos masculinistes en classe, pendant un débat sur le sexisme ?
(Réflexion numéro 768890077 concernant mes rencontres scolaires tournant autour du sexisme).

Retour de 3 jours de rencontres scolaires, en collèges, à Nice. Livres lus par les élèves : Renversante, et pour les meilleurs lecteurs et lectrices, Toutes des filles en jaune.
Comme d’habitude, 3 ou 4 classes ont révélé leur lot de masculinisme. Quand les profs ne décident pas du placement des élèves, je vois tout de suite quand ça va se produire : un îlot de garçons, sans aucune fille, se place stratégiquement soit tout devant s’ils sont dans une optique d’affrontement, soit tout derrière s’ils ont décidé une politique de retrait.
Je connais bien maintenant les diverses stratégies masculinistes en milieu scolaire, mais désormais je creuse cette question : comment réagir aux provocations ?
Le plus souvent, voilà comment ça se passe : les petits mascus en herbe occupent tout l’espace de la parole. La stratégie : lever le doigt en permanence, et proférer des énormités, malgré les expositions, les exposés, tout le travail énorme sur le sexisme qui est fait en amont, mené par des profs formidables, énormités telles que, en résumé : l’égalité est déjà atteinte et le féminisme n’a pas lieu d’être, ou bien pire : les hommes sont supérieurs en intelligence et en capacités de toutes sortes, donc c’est l’égalité-même qui n’a pas lieu d’être. Généralement : stupéfaction des profs (à 98% des femmes), qui réalisent à peine l’ampleur du phénomène.

La stupeur du désespéré (Courbet)

J’ai appris quant à moi à ne pas me démonter mais aussi à ne pas tomber dans leur piège, et je leur réponds pendant 10 minutes, avant de dire que, stop, c’est au tour des filles, et des garçons les plus discrets, de s’exprimer (sinon, pendant 1 h il n’y a qu’eux qui parlent pour débiter leur manque de respect).
Après la rencontre, les profs, dévastées, s’excusent platement auprès de moi ou excusent leurs élèves en disant que c’est « juste » de la provocation, que ce sont « juste » de petits cakes, qu’ils sont « juste » en pleine construction de leur virilité, etc…
De fait, même quand les propos masculinistes sont proférés par des individus qui n’ont que 13 ou 15 ans, les femmes qui ne s’y attendent pas se retrouvent soit paralysées, soit amenées à minimiser les insultes sexistes.

Hellen Van Meene

Autant dire que je ne leur jette pas la pierre, à ces profs-là, et je préfère de loin leur attitude de stupeur tétanisée à celle que j’ai pu connaître d’un prof (homme) qui croyant bien faire a pris la parole à ma place et de sa grosse voix a recadré les insolents. Merci merci, je comprends la bonne intention, mais il en ressort quoi : que moi toute seule il semble que j’ai été incapable de le faire. Ma crédibilité est alors atteinte pour tout le reste de la séance ; c’est une attitude qui ressemble fort à du sexisme bienveillant. Je préfère le dire : ne faites pas ça, en tout cas pas avec moi.

Finalement, hier, une prof a eu une réponse immédiate, qui sur le coup m’a surprise, et que, finalement, j’ai trouvé la meilleure possible. Au bout de cinq minutes de provocation masculiniste et d’appropriation de la parole, elle s’est avancée pour dire : « stop maintenant, ça suffit, tous les garçons qui ont proféré des propos sexistes, vous serez convoqués chez la principale ».

Eh bien oui, en fait.

Parce que réfléchissons : que ferait-on si les propos proférés avaient été racistes, par exemple ? Cette comparaison fonctionne parfois de manière plus efficace que l’inversion opérée dans Renversante. Laisserait-on des élèves dire que les personnes blanches sont supérieures et qu’elles doivent donc légitimement dominer la société ? Ce serait tout de suite perçu comme une grave insulte envers toutes les personnes non blanches. On ne dirait pas : oui mais bon ils sont juste dans la provocation. Oui mais bon ils se cherchent et construisent leur identité de personnes blanches, les pauvres. On ne serait pas aussi indulgents envers eux. Et SURTOUT on ne laisserait pas entendre à une grande partie des élèves de la classe qu’ils et elles ont à subir ces insultes et ce manque de respect sans qu’aucune sanction ne s’ensuive.

Rineke Dijskstra

Dans le même esprit, on ne DOIT PAS laisser entendre aux filles qu’elles ont à subir insultes et manque de respect sans qu’aucune sanction ne s’ensuive. On ne DOIT PAS laisser entendre que ce respect auquel elles ont droit peut être sujet à débat.

L’impunité des masculinistes ne DOIT PAS commencer dès le collège. Cela envoie un signal trop néfaste autant aux filles qu’aux garçons pour la suite de leurs vies.

Hellen Van Meene

Un débat sur le sexisme, aujourd’hui, en 2024, dans une classe, ne doit plus tourner autour de la question d’une supposée supériorité des garçons, et d’une supposée infériorité des filles. Surtout quand Renversante a été lu auparavant. Surtout quand tout un travail a été fait en classe ou au CDI pour mettre au jour le sexisme sociétal. Bien souvent, orienter le débat dans cette direction, de la part des garçons à volonté dominatrice d’une classe, n’est qu’une manoeuvre pour ne pas laisser les filles, mais aussi certains garçons, parler de ce qui les touche.
Pour celles et ceux qui se demanderaient à quoi peut servir alors un débat sur le sexisme en classe, sachez qu’il est bien plus passionnant quand on part du principe que chacune et chacun a la possibilité de s’exprimer et d’écouter les autres avec le même respect dû à son état d’être humain. Questionner le sexisme sociétal et tout son système et trouver des moyens pour y remédier est bien plus productif.

Merci donc à Shirley, la prof qui a eu ce réflexe très sain de, immédiatement, faire appel à l’autorité supérieure (qu’elle soit incarnée par une femme ou un homme ne fait alors aucune différence), pour faire comprendre que le respect à l’école ne peut pas être à géométrie variable.

Petit rappel utile, sur cette page, on lit ceci :
« Ces actes et ces attitudes sont INTERDITS ET PUNIS par la loi.
Par ces comportements et/ou ces paroles, l’auteur crée une situation intimidante, hostile ou offensante et porte atteinte à votre dignité, votre droit à la sécurité et à circuler librement. »
Article de loi.

Hellen Van Meene

(Merci à Natacha Rolle et à la ville de Nice de permettre des rencontres scolaires aussi passionnantes).

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2 Commentaires
  • Jean-Michel Billioud
    16 mars 2024

    Bravo Florence
    Et que les auteurs à grosse voix, ou pas, soit tout aussi vigilants et réactifs dans ces situations ! Cela me semble très important