Dans la rubrique : on en apprend tous les jours !

Une classe de 6e toulonnaise, la semaine dernière, m’a appris une mystérieuse nouvelle locution, de celle qui apparaît dans le langage de la jeunesse de manière aussi inexpliquée que le phénomène de combustion humaine spontanée.
– La fille, c’est une BDH ! m’informe une petite fille (12 ans) à propos d’un récit qu’a inventé un groupe d’élèves.
Fort intriguée, je demande une traduction.
– C’est une s*ceuse, quoi ! lance une autre en pouffant.
Réprimandes des profs. Quant à moi, depuis que j’évoque Renversante dans les classes, j’essaie d’accueillir toute parole avec une égale tranquillité, même si je bondis intérieurement. Je prévois en silence d’expliciter à terme le sexisme de l’insulte, tout en me demandant comment faire, face à un public aussi jeune (au final, j’avoue, le courage m’a manqué). L’insulte a le mérite de m’expliquer le sens profond (pardon) de la locution en question.
Je réclame de plus amples précisions. J’apprends que c’est une invention poétique du rappeur Jul (ma foi c’est une forme de poésie, que j’espérais novatrice, avant de… mais attendez que je vous explique).

Au fil des réactions diverses et variées, puis de mes recherches sur le Net après la rencontre, je remonte l’étymologie un brin chaotique du terme.
BDH signifie « Bandeur ou Bandeuse D’Hommes ».
Un bandeur, suivant Weshipedia, dans le langage argotique, est quelqu’un de passionné ou d’admiratif, par exemple : « c’est un vrai bandeur de littérature russe du XIXe siècle ». Utilisé sans complément d’objet, cela désigne quelqu’un de jaloux. Ex : « Je suis tellement doué en géométrie analytique que des bandeurs me traitent de fayot ».
Bon, soyons clairs, un bandeur c’est à l’origine un homme qui aime avoir des relations sexuelles. Par une symétrie assez troublante, bandeuse signifie la même chose au féminin.

Jul a d’abord utilisé le terme de « BDG » = « Bandeur de Gadji ». La gadji, c’est une fille. Vous l’avez ? Un homme passionné de la gente féminine. Serait-ce donc un synonyme de « charo », le diminutif de « charognard » ? Un homme qui se jette sur toutes les filles et qui les respecte peu, ce qui est très mal vu par… les filles ?
En tout cas pas chez Jul, pour qui le « gros BDG » est celui qui est tellement aveuglé par son amour pour une seule femme qu’il se fait plumer et tromper par elle sans rien voir. Le BDG, chez Jul, est un être stupide qui succombe aux charmes d’une femme vénale et infidèle, au point qu’il en oublie ses potes (ultime traitrise !).

BDH en est dérivé : mais une bandeuse d’hommes n’est pas appelée ainsi si elle est folle amoureuse d’un seul homme au point d’en être aveuglée et d’oublier ses copines. La symétrie, ici, n’opère pas. Une BDH, c’est une femme ou une fille qui aime un peu trop les hommes, plusieurs hommes. Et ça c’est très, très mal vu… par les garçons, mais aussi par les filles, en tout cas par les fameuses pick me girls. On retombe là dans l’acception du vieux monde (on aurait aimé un peu d’innovation chez la jeunesse) : une femme ou une fille qui sort avec beaucoup de garçons, eh bien c’est une mauvaise femme, ou une mauvaise fille. Une traîtresse envers la cause masculine, quoi.

C’est là où ça devient tordu. Suivez-moi.
A partir de « Bandeuse d’Hommes », s’est créé « Bandeur d’Hommes », qui garde le sens de traîtrise (qu’on ne peut pas mieux comprendre, n’est-ce pas, qu’en prenant comme origine une femme à hommes). Un homme ou un garçon BDH, c’est un traître, un profiteur, voire une balance. Aya Nakamura parle de « pookie », qui provient de « poucave » (on dit unE poucave, et en Belgique cela désigne une prostituée, donc pas sûre que le mot pookie ait une origine moins sexiste que BDH, hélas…).
BDH a fini par devenir épicène, si vous voulez. On dit un ou une BDH. Dans tous les cas, traîtrise en vue. Les trahis, alors, ce sont toujours des hommes. Trahis par les femmes, ou par d’autres hommes.

Mais au fil du temps (court, car tout ça va ultra-vite), il s’est produit un twist intéressant.
Jul n’avait sans doute pas prévu que le BDG qu’il a inventé pour se plaindre des gars qui oublient leurs potos dès qu’ils tombent fou amoureux prendrait un tout autre sens, à force d’être utilisé par les jeunes filles. Or, les jeunes filles sont énervées par les garçons qui papillonnent un peu trop et qui « jouent avec leurs sentiments » comme l’a exprimé la même petite fille qui a parlé de « s*ceuse », preuve que les niveaux de langage chez les jeunes ont une large amplitude. Un BDG, c’est devenu pour les filles un garçon à éviter, un « charo », quoi. Eh oui, les femmes et les filles peuvent aussi être trahies dans le vrai monde. Contrairement au monde de Jul, où seuls les hommes souffrent…

Finalement l’évolution du terme BDG, qui a échappé à son créateur, est un bel exemple de ce qu’est la vivacité de la langue. A contrario, l’évolution du terme BDH est très représentative du sexisme ambiant, encore si prégnant chez les jeunes.

La tension BDG/BDH me paraît ultra intéressante, en ce qu’elle illustre des reliquats du vieux monde VS une forme de féminisme du nouveau.
Les jeunes filles, enfin, s’emparent du champ des insultes, et c’est une bonne nouvelle, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Certes, c’est inélégant, mais très utile.

« Charo » ou « BDG » sont enfin des insultes qui visent directement des hommes hétérosexuels, sans injurier des femmes ou des gays au passage (songez à la perversité des encore vivaces « fils de p*tes » ou « n*que ta mère » ou « va te faire f**tre » ou « P* » ou « enc*lé », ou encore « c*n » puisque cela désigne le sexe féminin, et son dérivé « c*nnard », etc…).
Il ne reste plus aux jeunes filles qu’à se dégager enfin du slut shaming pour se libérer encore davantage des douves patriarcales, mais je crois qu’elles en prennent le chemin.

Cette appropriation qu’elles opèrent du langage, même argotique, envers et contre la toute puissance masculiniste du rap, entre autres, est, je le crois, l’une des meilleures nouvelles langagières de notre temps.

Edit : J’apprends par une prof, en commentaire sur Insta, qu’ailleurs en France, les filles se sont emparées de BDH au féminin pour en faire l’équivalent de BG (Beau Gosse). Etre une BDH, par conséquent, est une vraie fierté, et on le revendique. En voilà une belle victoire féministe !

Illustration : Varkey

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