J’ai du mal à faire des listes ou autres référencements, cependant j’ai une sorte de carte mentale des oeuvres qui m’ont marquée, que je serais incapable de restituer ici, mais dont l’une ou l’autre émerge soudain suivant ce que je vis. C’est le cas du film Blade Runner de Ridley Scott, qui réémerge régulièrement. La dernière fois ce fut, et de façon frappante, dans une mégalopole chinoise.

Et je tombe aujourd’hui sur ce document étonnant, une lettre de Philippe K. Dick lui-même, adressée au producteur de Blade Runner. Pour rappel, ce film est une adaptation de la (bien sûr) excellente nouvelle Do Androids Dream of Electric Sheep ? (1968). Cinq mois plus tard, Philippe K. Dick rendait l’âme. Mais son âme était captée dans ses histoires et aussi dans ce film qui sortit trois mois plus tard. Il ne le vit jamais en entier, mais seulement des extraits, qui le firent ainsi réagir (et qui peuvent laisser penser qu’il est mort heureux) :

 

Cher Jeff,

Mon regard s’est posé sur le programme horaire de Canal 7 TV de ce soir, « Hourra pour Hollywood », avec la partie consacrée à BLADE RUNNER. (Pour être honnête, ce n’est pas moi mais quelqu’un m’a mis la puce à l’oreille, BLADE RUNNER allant être une partie du show, pour que bien sûr je le regarde). Jeff, après avoir regardé, et surtout après avoir écouté Harrison Ford discuter du film, j’en suis venu à la conclusion qu’en effet ce n’est pas de la science-fiction ; ce n’est pas du fantastique ; c’est exactement ce que Harrison a déclaré : du futurisme. L’impact de BLADE RUNNER va tout simplement être écrasant, à la fois pour le public et pour ​​la créativité des gens et, je crois, pour la science-fiction en tant que domaine. Comme j’ai écrit et vendu des œuvres de science-fiction depuis trente ans, c’est une question d’une certaine importance pour moi. En toute franchise, je dois dire que notre domaine s’est progressivement et régulièrement détérioré depuis ces dernières années. Rien de ce que nous avons fait, individuellement ou collectivement, ne correspond à BLADE RUNNER. Ce n’est pas de l’évasion, c’est du super réalisme, si courageux, convaincant et authentique, et fichtrement détaillé, qu’après la séquence, eh bien, j’ai trouvé pâle en comparaison ma norme de « réalité » à ce jour. Ce que je veux dire, c’est que vous tous, collectivement, pouvez avoir créé une forme nouvelle et unique d’expression artistique et graphique jamais vue auparavant. Et BLADE RUNNER, je pense, va révolutionner notre conception de ce qu’est la science-fiction, et de ce qu’elle peut être.
Permettez-moi de résumer de la façon suivante. La science-fiction s’est lentement et inéluctablement installée dans une mortification monotone : elle est devenue consanguine, dérivée, rassise. Tout à coup, vous les gens vous êtes entrés, quelques-uns des plus grands talents qui existent actuellement, et maintenant nous avons une nouvelle vie, un nouveau départ. Quant à mon propre rôle dans le projet de BLADE RUNNER, je peux seulement dire que je ne savais pas qu’une de mes œuvres, ou un ensemble d’idées de ma part, pussent être exemplifiés dans des dimensions aussi étonnantes. Ma vie et mon œuvre sont justifiés et parachevés par BLADE RUNNER. Merci… et ça va être un succès commercial d’enfer. Il se révélera invincible.

Cordialement,

Philip K. Dick

 

 

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