Une classe de 3e.

Ils et elles ont lu *Renversante, y’a encore du boulot*.

Comme souvent dans ce niveau de classe, les conversations se cristallisent sur les vêtements, et sur les diverses injonctions auxquelles ils et elles sont confrontées. On ne va pas se mentir : surtout les filles. Beaucoup de témoignages et de révoltes.

Celle qui dit : si je veux mettre un décolleté ou un short, mon père me dit que « je cherche le viol »…

Cette autre qui a décidé de ne porter que des pantalons, même en plein été, pour des raisons qu’elle a du mal à élucider. Est-ce à cause de cette remarque qu’un adulte lui a faite quand elle avait mis un short ? Elle préfère dire que c’est son choix, qu’elle n’aime pas montrer ses jambes…

Pour finir aucune n’ose s’habiller comme elle l’aimerait vraiment.

Les garçons écoutent, jambes écartées, bras croisés, à l’aise dans leurs joggings enveloppants qui ne leur posent aucun problème puisqu’ils correspondent autant aux normes de la mode actuelle que ce qui est socialement accepté d’eux partout, au lycée ou ailleurs. Pas d’injonction contradictoire, les concernant. Certes ils aimeraient peut-être s’habiller autrement, c’est possible, cependant s’habiller de manière à être acceptés par leurs pairs, au lycée ou ailleurs, ne leur cause aucun noeud au cerveau.

Pour les filles : impossible d’être au top de la mode dans bien des collèges et lycées, ou même ailleurs. Le règlement de nombreux établissements n’accepte pas la mode des filles. Le règlement exige d’elles quelque chose qui diffère des règles de la société de consommation (pour la bonne raison que les jeunes filles sont autant considérées par cette société-là comme objets de consommation que ce qu’elles portent, mais comment comprendre et combattre cela à 15 ans ?). Pour les filles : s’habiller le matin, c’est faire des compromis permanents. Etre socialement acceptée par leurs pairs (à cet âge = être à la mode) ou être socialement acceptée par l’institution scolaire ? Equation insoluble.

On en revient toujours à la même chose : on pourrit la vie des filles.

On revient sur cette histoire de décolletés et de shorts ou de jupes. Ça les travaille. Sur cette interdiction parentale. Je demande à celle qui n’ose plus dénuder ses jambes, jamais, même sous 40 degrés, si elle a un frère. Elle dit oui, un grand frère. Je lui demande si ses parents lui ont déjà demandé, à ce frère, avant de sortir, s’il allait bien faire attention de ne violer personne.

Cette jeune fille n’avait pas réagi quand sa collègue avait raconté que son père lui avait reproché de « chercher le viol », mais la voilà ulcérée par ce que je viens de dire sur son frère.

« Quoi ? Vous sous-entendez que mon frère pourrait violer ?? »

Photo de Henrick Sorensen

Je lui réponds : je l’en soupçonne aussi peu que je soupçonne quiconque ici de chercher le viol en s’habillant comme ci ou comme ça. Pourtant c’est vous les filles qui vous empêchez de vous habiller comme vous le voudriez, soit par auto-censure, soit parce que vos parents ou l’institution vous le demandent. A contrario, on ne demande jamais aux garçons à faire attention à quoi que ce soit pour empêcher que les filles soient embêtées dans la rue (alors que, statistiquement, 98% des agressions sexistes et sexuelles sont perpétrées par des hommes). Est-ce normal ? Ne pourrait-on pas juste un peu inverser la responsabilité, pour que cela soit plus juste, et pour voir ce que cela donne ?

Elle n’a pas voulu analyser ce que cela donnerait. Elle était sidérée par ce que j’avais osé dire. Visiblement, son frère est une icône. Qu’elle soit choquée de ce que je disais de son frère, et pas de ce qu’elle-même s’interdisait, elle n’en a pas encore vu l’absurdité. Mais je sais que cela fera son chemin. Elle avait l’air intelligente, elle y repenserait.

Voilà un moment comme tant d’autres pendant mes rencontres autour de *Renversante*. C’est toujours fort, parfois euphorique et libératoire, d’autres fois un peu voire beaucoup abrasif, cela peut être tendu, parfois même dans la confrontation, je vois des yeux au ciel, d’autres qui me fusillent, mais beaucoup, beaucoup aussi de regards pleins de reconnaissance. Souvent venant des plus silencieux et silencieuses. Des remerciements soufflés en quittant la salle. Des confidences livrées quand la masse de la classe est déjà sortie. Dans tous les cas, c’est réussi : on a parlé. On a échangé. Un espace de paroles s’est ouvert.

Et lorsque l’ensemble de la classe est mutique, c’est toujours la révélation d’un problème : généralement, un groupe de garçons qui impose sa loi et empêche la parole de se libérer. On ne peut alors rien dénouer en une séance, juste parler, faire entendre une vision différente, repérer les fameux regards en demande, parfois même en détresse, et lancer des phrases-ballons d’air pur, des brèches d’espoir et de lumière, des balises. J’espère toujours qu’au moins les profs auront vu le problème à cette occasion et feront en sorte de le résoudre, si c’est possible. Des classes entières vivent dans la terreur pendant des mois, j’en ai eu la preuve plus d’une fois. Parler de sexisme : il n’y a pas de meilleur révélateur des mécanismes de domination dans un groupe.

A chaque fois, je sors de ces rencontres avec des sentiments mélangés. Qu’est-ce qui m’a pris d’écrire ces livres, d’évoquer le sexisme de manière aussi frontale ? Qu’est-ce qui m’autorise à en parler ainsi dans les classes ? Une espèce de vertige me saisit parfois, en comprenant ce qui s’est joué en à peine une heure de temps. Je vois sortir ces garçons et ces filles du lieu où la rencontre vient de se passer. Je collecte avec reconnaissance les « merci », « vous êtes géniale », « c’était super ».

Mais pour bien d’autres : que se passera-t-il pour elles et eux suite aux paroles entendues et libérées ?

C’est, bien entendu, renversant.

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