J’ai pu bénéficier d’une mini-résidence d’autrice à Manosque, cette semaine, et c’est toujours avec émotion, quand je me rends dans cette ville, que je repense au *Hussard sur le toit* de Giono qui en parcourait les toits pour échapper à la folie générée par le choléra en bas, dans les rues… dont je me suis largement inspirée pour décrire le passage à Manosque de mon héros Yannis dans U4. Vertige de penser que les jeunes que j’y ai rencontrés sont, eux, en pleine période de Covid…
Et d’ailleurs les rencontres d’hier avec les jeunes (de 11 à 14 ans) de la MJC de Manosque à propos de l’égalité garçons-filles ont largement été à la hauteur d’Angelo le hussard, et m’ont réconciliée avec l’humanité. J’étais déjà bien disposée grâce à l’accueil des formidables Laetitia et Virginie de l’association Éclat de lire , mais je réfrénais mes attentes après plus de quatre mois sans rencontrer mon public : mon désir de normalité n’allait-il pas se heurter à la banalité d’une rencontre poussive avec des pré-ados et ados agacé·es de devoir rencontrer une écrivaine au lieu de faire autre chose de leurs vacances ? Cette crainte était insultante pour eux (je m’en excuse ici platement), et j’ai pu mesurer à quel point cette période de confinement puis de reprise partielle et anormale du collège puis de vacances masquées leur a donné soif, à eux aussi, de véritable rencontre, véritable débat, et de hautes idées. A partir de mon ouvrage *Renversante* ainsi que des illustrations drôlissimes de Clothilde Delacroix (l’école des loisirs), le débat a pris une tournure passionnante et de haute volée. En ces temps troubles pour le féminisme (entre autres, mais nous avons focalisé sur ce thème important), j’avais exactement besoin de cela pour reprendre espoir, et pour réaliser que la jeune génération nous sauvera des petits arrangements entre ami·es de celle qui est au pouvoir. Non seulement le débat était de grande qualité, mais il n’a révélé chez les participant·es aucune once de sexisme primaire, aucun argument spécieux, aucun raccourci de pensée, aucune paresse intellectuelle. Bien des adultes pourraient en prendre (ô combien) de la graine. Je suis ressortie totalement reboostée après avoir ainsi rencontré (au vrai sens du terme « rencontre »), des êtres humains aux yeux brillants, bienveillants entre eux, à l’écoute des autres et du monde, pleins d’empathie et d’intelligence, affamés de culture et d’échanges.
Je poste ici un vol de martinets au-dessus des toits de Manosque car il illustre pour moi parfaitement l’état d’esprit de ces jeunes manosquin·es, qui vole bien plus haut que le brouhaha ambiant.
Grand merci à la DRAC qui a permis ces moments précieux, ainsi qu’un temps de création très estimable, dont peu mesurent l’importance, et pourtant ces plages de temps hors tout, hors-chez-soi donc en-soi, se révèlent toujours hyper nourrissantes et productives, et permettent de créer de nouveaux textes qui seront eux aussi porteurs et supports de nouvelles rencontres. Ces résidences qui savent doser rencontres et temps de création (l’idéal étant pas plus de 30% du temps pour les premières) doivent être défendues pour l’intelligence de leur mise en place.